Vous connaissez, j’en suis sûr, l'histoire de ce petit
restaurant de quartier, délicieux, convivial et pas cher qui, à force que cela
se sache et que le bouche-à-oreille fasse son œuvre, est devenu de plus en plus
cher et de moins en moins sympa, avec une qualité plafonnante? Ou encore
l'histoire, que j'ai résumée en début de blog, de ce super-magazine de photo,
iconoclaste et drôle, devenu quelques années plus tard tout aussi puant, dans
son genre, que les institutions dont il se moquait jadis, et prétendait
déboulonner?
Eh bien, les prix TIPA (Technical
Image Photo Association) sont fermement engagés sur le même chemin. Jadis
vraies récompenses annuelles décernées par un collège de journalistes européens
spécialisés et indépendants, ces prix très recherchés ont couronné pendant des
années des produits qui le méritaient, et constitué des repères authentiques et fiables pour des millions de clients plus ou moins profanes.
Je n’oserai pas aller jusqu’à dire qu’aujourd’hui que des
journaux américains et asiatiques ont rejoint l’aréopage initial, le jury des
prix TIPA a quelque peu renoncé à son indépendance, mais enfin, force est de
constater que la multiplication démentielle des catégories de produits
récompensés permet de nourrir quelques doutes quant au sérieux général de
l’entreprise...
Prenons quelques exemples relevés à l'occasion de la
publication du palmarès 2012:
D’abord, la TIPA décerne cette année pas moins de 40 prix…!
Je vous laisse juge de l’opportunité d’avoir maintenant 4 catégories distincte de
boîtiers (en sus des « amateurs », « experts » et « pros »,
voici venir les « avertis » —qui comme chacun sait, en valent deux),
mais à supposer même que ce soit une bonne idée, pourquoi appeler le premier niveau « entrée
de gamme » chez les reflex, « amateur » chez les hybrides, et « généraliste »
chez les compacts ? Et, si l’on décide de n’avoir que des « généralistes »
et des « experts » chez les compacts (ce qui se défend), pourquoi
diable avoir créé des prix supplémentaires pour les « compacts superzoom »
et les « compacts baroudeurs » ? Pour avoir aussi 4 prix chez
les compacts, comme chez les hybrides et les reflex ? Il n’y a guère de
justification là-dedans, sinon le désir de pouvoir « arroser » un peu
tout le monde, afin de ne déplaire à aucun fabricant.
Continuons avec les objectifs : comme nous avions 4 types
de prix pour les boîtiers, nous allons évidemment retrouver ces 4 catégories
pour les objectifs, n’est-ce pas ? Eh bien non, perdu ! Il y en a
trois seulement, na : amateur, expert et pro, tant pis pour les « avertis »
(on les avait prévenu) qui n’ont pas droit à leurs objectifs à eux.
Je vous passe les catégories bidon du genre « Meilleur
accessoire » (meilleure catégorie fourre-tout pour récompenser n’importe
qui oublié jusque là !) ou « Meilleur accessoire
numérique » (euh… on ne doublonne pas un peu, là ?), pour terminer
avec le véritable clou, l’apogée de la nullité journalistique, le firmament de
la bêtise créative, l'aveu affligeant du désir effréné de faire plaisir à nos annonceurs, j’ai nommé… le prix…
tenez-vous bien… du « Meilleur appareil haut de gamme » ! Si,
si ! Ils l’ont fait ! Bien sûr, vous aurez compris que ce prix va au
Leica M9-P, tellement médiocre et dépassé techniquement que seuls les éperdus
de frime et aficionados absolus de la marque en veulent, à l’exclusion de tous
les pros (si vous voulez avoir une idée de ce qu’il vaut vraiment, lisez ceci http://www.dpreview.com/articles/4052788152/shooting-with-the-leica-m9-p)…
mais voilà… il fallait bien lui donner un prix… alors, on a inventé une
catégorie complètement à part, rien que pour lui seul —comme ça, il était sûr
de gagner !
C'est à peu près comme si, ayant des envies de jouer les Djokovic (puisque c’est de nouveau l’époque de Roland-Garros), je créais le classement mondial des joueurs de tennis de plus de 25 ans demeurant à mon adresse... Là aussi, ayant éliminé mes enfants par le critère de l’âge, je serais sûr d’être numéro 1!
Bref, les TIPA se sont définitivement déconsidérés, cette
cuvée 2012 ayant choisi sans ambigüité de basculer dans le ridicule. Mon seul
regret est que mon magazine favori, Réponses
Photo, soit (reste?) associé à ce qui est désormais une mascarade auprès de laquelle
le jury de Cannes fait figure d’Académie Nobel. Espérons que les parties
prenantes sauront très vite redresser la barre, faute de quoi leur palmarès sera
la risée annuelle de tous ceux qui ont deux sous de jugeote. Après tout, les occasions de rigoler ne sont pas si fréquentes...
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