L’avènement
du numérique a facilité les choses dans bien des domaines pour le photographe :
on peut regarder immédiatement les photos qu’on vient de prendre et, pour les
plus expérimentés qui ne se fient pas à ce que leur montre leur écran arrière,
on peut consulter l’histogramme ; on peut, sans coût supplémentaire,
refaire sur-le-champ les prises de vues qui n’ont pas donné les résultats
espérés… pour autant, bien sûr, que le sujet soit encore là, et la lumière
aussi ; et on ne dépend de personne pour maîtriser l’intégralité de la
chaîne de production, de la prise de vue à l’impression des tirages, en passant
par la phase essentielle dite du « labo numérique ».
Pour autant,
il serait fallacieux de croire que le numérique a réinventé la photo. Je vous
en donne ci-dessous quelques exemples, qui sont comme autant de clins d’œil de
et à nos grands anciens…
Premier
exemple : la pose longue, cette mode qui fait fureur ces temps-ci dès lors
qu’il s’agit d’inclure dans le cadre de l’eau en mouvement (et j’admets que cela
produit des effets fort esthétiques, même si l’on commence à s’en lasser un peu).
Eh bien, Carleton Watkins la
pratiquait déjà dans les années 1869 :
Carleton Watkins, Pain de sucre, archipel des Farallon, vers 1869 |
Bon, d’accord,
compte tenu de la très faible sensibilité des plaques qu’il utilisait dans sa
chambre 45 × 55 (centimètres, hein, pas millimètres !), il n’avait guère
le choix. Toujours est-il que la prise en compte du pouvoir esthétique de la
pose longue ne date pas d’aujourd’hui, ni même d’hier.
La
photographie en très basse lumière sans flash a été, tout le monde le sait,
révolutionnée en 2008 par le Nikon D3 et les boîtiers qui ont suivi. Euh… pas
totalement ! Regardez cette scène, foisonnante de détails, parfaitement
exposée bien qu’elle ne soit éclairée que par la lueur du feu de camp… Nous
sommes au Far-West, le vrai, en 1866, et ce petit chef-d’œuvre est de William Notman, qui pourtant n’a
disposé d’aucun posemètre pour calculer son exposition, ni d’aucun écran LCD
pour vérifier son histogramme…
William Notman, Le feu de camp, vers 1866 |
Et quand on
sait que ce même Notman avait reçu, quelques années plus tôt, la distinction de
Photographe de l’année décernée par
la reine Victoria, on comprend aussi que les BBC Photographers of the Year n’ont rien inventé non plus !
Tiens,
puisque nous parlons de la BBC, restons dans le domaine de la photo d’actualité.
C’est à juste titre que nos photojournalistes modernes sont glorifiés, et à
juste titre encore que l’on loue les progrès réalisés par les fabricants qui, à
partir du Leica puis du Nikon F, ont conçu, grâce au format 24 × 36
(millimètres, cette fois), des appareils petits, maniables, solides, permettant
d’immortaliser des scènes d’action qu’il aurait été totalement impossible de
photographier avec les massives chambres de jadis, nanties de leurs lourd
trépieds.
Vrai ?
Pas vraiment. Enfin, oui, dans une large mesure, mais saluons d’autant plus bas
la prouesse de certains photographes de l’époque héroïque qui, en dépit d’un
matériel incommode et de films peu sensibles, ont gardé le souvenir d’instants
aussi fugaces et dramatique que le naufrage d’un navire, comme cette magnifique
réalisation de Francis Mortimer en
1911 :
Francis Mortimer, Le naufrage de l'Arden Craig, 1911 |
Encore plus
fort, allons maintenant sur un terrain typiquement défriché par le numérique :
le bracketing, cette technique
consistant à photographier plusieurs fois la même scène, dans une rafale
rapide, en posant une fois pour les plus hautes lumières, une fois pour les plus
basses, et plusieurs fois entre les deux. Ensuite, on recombine ces différentes
photos sous Photoshop pour obtenir une image à la dynamique artificiellement
étendue, allant bien au-delà de ce que le capteur pouvait reproduire. Dans le
pire des cas, cela donne le HDR, lui aussi très à la mode, et en général de
très mauvais goût.
Nous sommes
donc bien là dans un domaine vraiment nouveau, que seule l’arrivée du numérique
a permis, pas vrai ? Ben non : dès 1856, Gustave Le Gray avait compris comment prendre deux images
successives, puis les combiner en un tirage unique afin d’étendre la dynamique
reproduite :
Gustave Le Gray, Ciel et mer, 1856 |
Tout cela
relativise un peu l’omniprésence de la sacro-sainte technique, et les
sempiternels débats du genre « Dois-je changer mon boîtier maintenant ou
attendre la prochaine nouveauté ? »
Allez, bonnes
vacances et bonnes photos à toutes et à tous !
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