L'autre jour, sur un forum traitant de photo de voyage, quelqu'un recommanda le livre Conseils d'un photographe voyageur, d'Olivier Föllmi. Je n'avais pas lu ce livre mais, me souvenant de quelques photos de Föllmi que j'avais aimées, et sachant que le bonhomme est quand même l'un des rares qui parvient à vivre de ses photos de voyage, je fis l'emplette de son petit opus.
Föllmi est, à l'évidence, un mystique profond dont l'approche humaniste se confond avec une appréhension quasi-religieuse, en tous cas fusionnelle, de ses sujets. Cette approche ne me correspond pas et je lus en diagonale bon nombre de pages qui s'assimilaient davantage à du prêchi-prêcha qu'à de véritables conseils opérationnels et exploitables pour photographes voyageurs... sauf à être un grand mystique comme lui, évidemment.
Pour autant, son petit livre contenait un certain nombre de points intéressants, même s'ils n'étaient pas entièrement nouveaux par rapport à ce que tout un chacun peut lire en faisant quelques recherches sur internet ou en lisant d'autres livres de grands voyageurs tels que, par exemple, Steve McCurry. J'étais juste un peu irrité par la pub faite sur chaque page pour Fuji, sous prétexte que cette marque sponsorise l'auteur: là, pour le coup, on bascule du mysticisme le plus éthéré dans le matérialisme le plus mercantile!
Bref... Je suis arrivé page 88, où figure le chapitre "Retoucher ses images", et là je lis la première phrase ainsi: Pour un bon photographe, une image à retoucher devrait aller à la poubelle. Aïe.
Déjà, ce genre de pronunciamento imbécile, digne des jugements à l'emporte-pièce qu'on assène au comptoir du Café du Commerce parce qu'on a bu un coup de trop, qu'on n'a plus toute sa lucidité et qu'on est incapable de faire encore dans la nuance, est difficilement admissible de la part d'un grand professionnel, qui écrit en principe à jeun, et qui devrait savoir que les situations réelles sont infiniment plus complexes, et que si ce qu'il affirme était vrai, il n'y aurait pas beaucoup de "bons photographes" sur Terre (y compris tous ceux qui sont infiniment plus et mieux reconnus que Föllmi).
Ensuite, les affirmations de ce type émanent le plus souvent de ceux qui ne maîtrisent pas les outils de retouche et qui, plutôt que de l'avouer, préfèrent prétendre qu'ils sont haïssables (travers bien connu de la race humaine) —alors qu'en vérité, ils aimeraient apprendre à les utiliser...
Enfin, cet intégrisme professé, cette intolérance absolue, est à l'image de ceux et de celles dont la politique, les mœurs ou la religion nous offrent le spectacle, c'est-à-dire qu'elles ne s'appliquent pas à soi-même, évidemment. En effet, que lit-on sous la plume de notre brave Genevois, juste après? Lors de la phase de gravure [que nous autres pauvres gueux pourrons assimiler à l'impression de nos photos], il arrive de devoir contraster un ciel, densifier une couleur ou ouvrir une ombre.
Ah bon? Et cela, ça ne serait pas, par hasard, comme qui dirait, de "la retouche", cette retouche honnie que tout "bon photographe" doit bannir? Mais non, voyons, pas de mauvais esprit! Poursuivons la lecture de la parole du Maître: J'accepte des ajustements chromatiques modérés [c'est quoi, des "ajustements chromatiques"? et c'est quoi, "modérés"?] s'ils restent dans les limites du respect de la photographie. Et qui va en être juge, de ce respect? Monsieur Föllmi, bien sûr. Lui sait jusqu'où il peut se permettre de triturer ses images. Quant aux autres, dès qu'ils tritureront, ils n'auront qu'à s'intituler, selon lui, "artistes infographistes".
En résumé, Föllmi, c'est: "Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais. Si vous éprouvez le besoin de retoucher vos photos, c'est que vous n'êtes pas un bon photographe. Oui, c'est vrai, moi aussi je retouche les miennes, mais moi je sais jusqu'où ne pas aller trop loin, et je sais rester un 'artiste photographe' sans tomber dans la sous-catégorie des 'artistes infographistes'. Vous, non."
Franchement, il y a de quoi se tordre de rire. Notre pauvre Suisse, qui avait dû abuser de la fondue et du fendant quand il a pondu son chef-d’œuvre, a perdu à mes yeux toute crédibilité. Quand on pense que c'est lui qui, par ailleurs, se fait l'apôtre de la tolérance, du respect des autres, de l'écoute, et qu'on le sait capable de proférer ce genre de discours d'exclusion, de dire, du haut de son savoir auto-proclamé, qui est un "bon photographe" et qui ne l'est pas, eh bien on peut se demander à quel moment du livre le mensonge a commencé...
Affichage des articles dont le libellé est post-traitement. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est post-traitement. Afficher tous les articles
dimanche 1 juin 2014
samedi 5 mai 2012
De l’importance de la post-production
Ce qu’on appelle « post-production », ou encore « post-traitement »,
c’est tout ce qui se passe après la prise de vues elle-même. Jadis, c’était le
travail dans le labo-photo : développement de la pellicule, puis
agrandissement et tirage, avec parfois l’étape intermédiaire et bien utile de
la planche-contact qui rendait le négatif plus lisible à l’œil. Pour l’immense
majorité des photographes, ces travaux ne concernaient que les films noir et
blanc, le traitement des films négatifs couleur (et a fortiori des films dits « inversibles », pour diapositives) étant
trop complexe, et surtout bien trop coûteux pour la plupart des
non-professionnels —et même pour un bon nombre de ces derniers !
Pour ne pas trop dépayser les anciens, les geeks nos
amis informaticiens ont inventé la métaphore du « labo-photo virtuel »
pour qualifier les divers logiciels qui, aujourd’hui, permettent à un nombre
infiniment plus grand de photographes, même amateurs, de « post-traiter »
leurs photos, fussent-elles en couleur, afin de les préparer pour l’impression,
voire de les imprimer eux-mêmes !
En effet, moyennant l’apprentissage de ces logiciels de
post-production (dont certains sont terriblement puissants et complexes, mais d’autres
beaucoup plus simples : il y en a pour tous les goûts !), nous
disposons maintenant, sans devoir manipuler de produits chimiques polluants,
inflammables et malodorants, sans devoir monopoliser la salle de bains en
obscurcissant hermétiquement sa fenêtre, et sans devoir stocker quelque part un
volumineux agrandisseur, une glaceuse, des cuves et des bacs, des tuyaux et des
bouteilles —sans toutes ces contraintes, donc, nous disposons maintenant d’outils de
retouche et de post-traitement largement plus nombreux, plus puissants et plus
précis que ceux dont disposaient, il y a quelques décennies, les meilleurs tireurs
professionnels, du haut de leurs quarante années d’expérience de la chambre
noire !
![]() |
Dune du delta de l’Èbre en Espagne : la colorimétrie a été travaillée en post-production pour dramatiser l’image. |
![]() |
Autre exemple encore un peu plus poussé de dramatisation des couleurs et de la luminosité. |
Car, et c’est probablement la première chose qu’il faut dire
à l’attention des puristes qui affectent de mépriser le travail de
post-production, les photographes ont toujours « travaillé » leurs
images sous la lumière inactinique du labo, dans la cuve de développement ou « sous
l’agrandisseur », comme l’on disait à l’époque. Les retouches au pinceau,
trucages, masquages divers et variés, ont toujours été employés, y compris par
les champions de l’instantané-vérité ou de l’instant décisif, comme les
historiens de la photographie l’ont montré depuis que la disparition de ces
grands maîtres a permis de faire la lumière (sans jeu de mots) sur les méthodes
qu’ils employaient véritablement.
Donc, n’ayons pas, au nom de je ne sais quel tabou, peur de
post-traiter nos photos. Certes, tout doit être aussi parfait que possible dès
la prise de vues, et d’ailleurs certaines erreurs ne se rattrapent pas, même
avec la dernière version de Photoshop. Mais cela étant, ne pensons pas que ce
serait « mal » de post-traiter, ni que ce serait nécessairement la
marque d’un manque de maîtrise de la « vraie » photo (celle qu’on
pratique appareil en main) au bénéfice de la « fausse » (celle que l’on
met en œuvre à l’ordinateur). Bien souvent, ce mépris affiché par certains
vis-à-vis de la post-production est tout simplement la conséquence du fait qu’ils
maîtrisent mal les outils que l’informatique met à notre disposition, et qu’en
les ostracisant, ils espèrent que leurs propres lacunes seront moins criantes.
Car il est vrai que, qui dit nouveaux outils, dit
apprentissage, et même un double apprentissage. D’abord apprentissage de l’utilisation
même du logiciel, ce qui n’est pas évident, et suppose en plus que l’on sache
déjà bien utiliser un ordinateur et que l’on maîtrise, entre autres, les bonnes
procédures sécurisées qui éviteront que l’on endommage ou que l’on efface par
mégarde une ou plusieurs photos que l’on souhaitait conserver. De plus, la
plupart des techniques qui permettent, à partir d’une excellente prise de vue,
d’obtenir une image remarquable, sont des techniques assez sophistiquées,
relativement complexes et que la simple maîtrise des fonctionnalités de base du
logiciel ne nous permettra pas encore d’atteindre. Bien sûr, ces fonctionnalités
de base suffiront à l’immense majorité des preneurs d’images-souvenir, mais
celles et ceux qui voudront aller plus loin ne pourront pas s’en contenter.
Ensuite et surtout, outre cet apprentissage purement
technique de l’outil, il en est un autre plus long et bien plus important que j’appellerai
l’apprentissage « artistique ». Ce n’est pas parce qu’on nous met entre
les mains le burin qu’a utilisé Michel-Ange et qu’on nous apprend à le
manipuler, que nous serons capables de produire la Pietà… ou, si vous préférez,
qu’on nous mette entre les mains la machine à écrire d’Hemingway ne nous rendra
pas pour autant capables de produire ipso
facto un chef-d’œuvre tel que L’adieu
aux armes… Maîtriser techniquement un outil puissant ne nous instille pas le
bon goût, la mesure, le sens artistique, la créativité. Et de même que la
publication assistée par ordinateur a ôté bien des travaux des mains des
maquettistes, des compositeurs et des imprimeurs professionnels expérimentés et
compétents, pour les mettre dans celles d’amateurs qui pensaient qu’ils l’étaient,
avec les résultats affligeants qu’on constate aujourd’hui sur bien des travaux
imprimés, de même voyons-nous nombre d’horreurs sortir des mains des
photographes qui s’improvisent tireurs ou retoucheurs, et cèdent à la
tentation, à la facilité quelque peu racoleuse de « pousser trop loin les curseurs »
du logiciel, sans que leur éducation artistique (inexistante) ne leur crie qu’ils
sont en train d’en faire trop.
![]() |
Trois exemples de photos dont l’ambiance a été altérée par le post-traitement : pour cette vieille cabine téléphonique anglaise, il s’agissait d’accentuer l’impression de ruine, de décrépitude... |
![]() |
... Pour ce vieux DC-3, de mettre en valeur la fragilité de la machine face à l’orage menaçant... |
![]() |
... Et pour ce superbe voilier classique, de souligner la finesse de ses lignes dans une ambiance alliant coups de soleil et prémices de tempête. |
Un des exemples (mais ce n’est qu’un exemple) de ces excès
est la technique dite HDR (high dynamic
range, ou dynamique étendue), qui est à la bonne photo ce que la
télé-réalité est à la bonne fiction télévisée : d’un côté Les rois maudits ou Inspecteur Morse (ou, pour les plus modernes, Sherlock), de l’autre Le loft
ou Koh-Lanta. Au départ, une bonne
idée pratiquée depuis bien avant le numérique, mais rendue infiniment plus
facile d’accès par lui : le bracketing,
c’est-à-dire le fait de prendre plusieurs photos du même sujet, à quelques
fractions de seconde d’intervalle, mis avec des réglages d’exposition
différents, afin de pouvoir ensuite combiner ces différentes images pour ne
retenir qu’une partie de chacune d’elle. L’idée étant de présenter une photo « lisible »,
même s’il existe de très grandes différences d’éclairement entre les parties
les plus sombres et les parties les plus claires, des différences telles que
même un appareil moderne ne pourra les représenter toutes ensemble, et que même
avec la plus grande habileté du monde, on sera forcé de choisir entre
surexposer une partie, ou sous-exposer une autre partie… d’où l’intérêt de
prendre plusieurs photos, certaines avec les parties claires bien exposées et
les parties sombres complètement sous-exposées, d’autres avec ces parties
sombres bien exposées, quitte à « brûler » complètement les parties
plus éclairées. Ensuite, l’on combine pour garder le meilleur des parties
claires avec le meilleur des parties sombres, augmentant ainsi artificiellement
la dynamique reproduite sur la photo.
En théorie, c’est une excellente idée, et en pratique, cette
idée fonctionne très bien… à condition de la pratiquer de façon mesurée, et
malheureusement, dans l’esprit de la plupart des photographes de fraîche date
qui pensent déjà tout savoir, cette notion de mesure passe rapidement à la
poubelle pour aboutir à des photos où l’on voit
tout, où plus rien n’est suggéré ni laissé à l’imagination, des photos sans
noirs et sans contraste, où tout est plus ou moins uniformément éclairé, qui n’ont
plus rien à voir avec la scène reproduite et qui sont, à mon avis, d’un mauvais
goût extrême. Comme je le dis souvent à ces apprentis-sorciers, « ouvrez n’importe
quel numéro de National Geographic, magazine
mondialement réputé depuis toujours pour la très haute qualité de son
iconographie, et demandez-vous pourquoi vous n’y voyez jamais aucune photo HDR… »
Le HDR et ses excès illustrent parfaitement les pièges dans
lesquels le photographe débutant, qui n’a pas encore eu le temps d’accomplir
son éducation artistique, va tomber par facilité et, disons-le, mauvais goût.
Et comme on peut l’imaginer, de même qu’il y a des millions de personnes
scotchées devant leur écran TV quand on diffuse une émission de télé-réalité,
de même, vous l’imaginez, les gens sont nombreux à être époustouflés par le
HDR, et ne se rendent même pas compte de la facilité de l’effet.
Panem et circenses ont toujours existé, me dira-t-on, et
lorsque la mode du HDR aura passé, une autre lui succédera. Sans doute, mais ce
n’est pas une raison pour ne pas dénoncer la facilité criarde lorsqu’elle commence à se faire un peu trop présente, et surtout le HDR est un prétexte idéal pour rappeler à mes confrères
(et –sœurs !) photographes que, plus les outils de retouche modernes sont
puissants, plus il faut les manier avec modération car il est facile de tomber
dans l’outrance. Les quelques photos qui illustrent cet article ont été « sur-traitées »
à dessein pour produire des effets ou traduire des ambiances particulières et
exceptionnelles ; de telles pratiques ne doivent pas, à mon sens, devenir
systématiques, car alors on sombrerait dans le caricatural.
En bref, et sauf à rechercher ponctuellement un effet outrancier pour un cliché particulier qui le requiert, la bonne retouche est exactement ce qu’elle était déjà il y a des décennies : celle qui rend la photo meilleure, tout en se ne voyant pas. Tout comme le bon photographe de rue est, comme le rappelait Cartier-Bresson, celui qui se fond dans l'ambiance et que l’on ne remarque pas, la bonne retouche est celle qui donne à la photo cette atmosphère indéfinissable, dont on ne sait pas d’où elle vient, sans pour autant pouvoir soupçonner la présence d’une retouche puisque, de toute évidence, la photo n’a pas été retouchée... sauf qu’elle l’a été quand même!
![]() |
La retouche a consisté ici à saturer un peu les couleurs des roches de la falaise, tout en désaturant légèrement celles du ciel et de la mer. |
![]() |
Traitement dit bleach visant à donner une tonalité un peu irréelle à cette photo. |
J’aurai certainement l’occasion de parler plus en détail du travail de post-production qui est devenu si important pour les photographes auxquels les techniques numériques modernes donnent une chance inespérée de pouvoir maîtriser l’ensemble de leur chaîne graphique, depuis la prise de vues jusqu'à l’impression des tirages définitifs. Pour le moment, souvenons-nous simplement qu’en règle générale, la retouche est une substance à consommer avec modération !
Inscription à :
Articles (Atom)