Parmi les mots à la mode
que chacun se doit d’utiliser çà et là, figure depuis quelques années le concept
de « partage ». À coup sûr une belle et noble idée s’il en est ;
ou du moins, ce serait le cas si ce « partage » n’était pas, la
plupart du temps, le déguisement fourre-tout qui sert à masquer, en réalité, le
fait qu’on nous impose ce dont on ne veut pas : certains croient devoir « partager »
leur musique (ou ce qu’ils appellent ainsi) que nous n’avons nulle envie d’entendre,
d’autres « partagent » leurs impressions en nous tenant la jambe au
téléphone quand nous avons bien mieux à faire ailleurs, et bien entendu, les
photographes « partagent » leurs images, ce « partage » n’étant
rien d’autre que le toilettage moderne de la bonne vieille séance de projection
de diapos que l’oncle Anatole nous faisait subir dans les années 70 à chaque
retour de Plougastel-Daoulas. C’est toujours aussi interminable, et toujours
aussi ch…, mais comment protester alors qu’on est en train de vous faire
aimablement « partager » ce qu’on aurait pu garder pour soi, sans
vous en faire bénéficier ?
L’altruisme, toutefois,
est en l’espèce quelque peu douteux. En effet, le plus souvent, il s’agit davantage
de se mettre soi-même en valeur, d’essayer de se faire admirer, bref de s’attirer
cette reconnaissance d’autrui que la télé-réalité a élevé au rang de must
quasi-quotidien. Car ce qu’on attend de ce soi-disant « partage », ce
sont bien, et avant tout, les commentaires louangeurs qui nous confirmeront que
notre prochain, non seulement nous aime, mais encore nous place au-dessus de
lui-même puisqu’il admire nos œuvres —ce qui sous-entend, selon nous, qu’il
serait incapable d’en faire autant.
Les réseaux sociaux, bien
entendu, se sont engouffrés dans la brèche et ont bâti leur succès sur ce
besoin que chacun éprouve de se mettre en vedette, ou du moins en lumière, de
bénéficier de son quart d’heure (voire seulement de sa minute) de gloire, en imposant
au reste du monde le « partage » de ce qu’il n’a, par ailleurs, aucune
envie de voir ni de lire ni d’entendre.
Ce besoin que beaucoup
éprouvent d’essayer de frimer aux yeux des autres n’est certes pas nouveau,
mais alors que, naguère, seul l’entourage proche en « bénéficiait »,
aujourd’hui Internet fournit à ces comportements une caisse de résonance bien
plus ample, ce qui fait que, comme avec les bombes « sales », les
retombées arrosent, hélas ! un périmètre beaucoup plus vaste.
C’est comme avec les
fautes d’orthographe : même si la merveilleuse réforme de l’école
post-1968 a bien accéléré les choses, il y a toujours eu un grand nombre de
personnes incapables d’écrire correctement le français. Simplement, avant,
elles ne prenaient pas la plume, ou du moins vous ne bénéficiiez pas de leurs
perles si vous n’en aviez pas dans votre entourage, et qu’aucune n’était donc
susceptible de vous écrire. Aujourd’hui, l’écrit public, à cause d’Internet,
est partout. Le fait que la plupart des gens écrivent comme ils parlent est
devenu patent, et le langage dit « SMS » est venu en rajouter une
couche là où il n’en était vraiment point besoin. On en est à un point tel que
cela paraît souvent vieux jeu d’appeler au respect de l’orthographe sur tel ou
tel forum du Web : la loi du nombre joue à fond et le « partage »
des barbarismes est monnaie courante.
Allez ! J’arrête là,
il faut que j’aille sur Flickr partager mes dernières photos et lire mes
commentaires !
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