vendredi 14 juin 2013

L’hypocrisie est-elle recyclable ?



J’aime bien me définir comme un « photographe de patrimoine ». C’est concis, et ça recouvre bon nombre des sujets qui sont parmi mes favoris : vieilles pierres bien sûr, mais aussi paysages, et pourquoi pas industries, vieilles choses décrépites, oubliées, burinées par le temps —bref, tout ce qui nous entoure aujourd’hui et constitue, d’une certaine manière, notre patrimoine. En élargissant un peu l’acception, même les fleurs et les animaux pourraient être inclus dans cette idée de « patrimoine ».

Bref, un « photographe de patrimoine » a vocation à se déplacer, à aller çà et là pour se livrer à son occupation favorite. Et comme ces déplacements l’entraînent souvent loin de chez lui, il fréquente souvent les hôtels. Ce qui m’amène au sujet principal de mon article d’aujourd’hui.

Avez-vous remarqué à quel point, depuis quelques années, se sont généralisées, dans les salles de bains des hôtels, y compris les plus réputés, ces petites affichettes vous invitant, « par respect pour l’environnement », bien sûr, à réutiliser vos serviettes de toilette d’un jour sur l’autre ? Je n’ai rien contre le principe et il est bien clair qu’en règle générale, les serviettes de toilette peuvent être en effet réutilisées plusieurs jours de suite sans enfreindre les canons de l’hygiène. Néanmoins, c’est le côté « impératif moral » soi-disant bien-pensant qui m’irrite.

Car en réalité, que pensez-vous vraiment que l’immense majorité des hôteliers en ont à faire, de l’environnement ? Évidemment rien du tout, ce qui les préoccupe avant tout, c’est de remplir leur hôtel, et aussi de rogner partout où c’est possible sur les frais de fonctionnement, afin de maximiser leur profit. Là encore, c’est légitime, c’est certainement le cas d’une immense proportion de commerçants… mais alors, qu’on le dise clairement et honnêtement, sans tenter de s’abriter derrière je ne sais quel faux-semblant peint en vert écolo, grâce auquel on espère nous faire prendre les proverbiales vessies pour des lanternes !

Hélas ! l’honnêteté de nos jours a définitivement cédé le pas au politiquement correct, mais pour ma part, et pour la peine, je prends bien soin d’abandonner systématiquement dans la baignoire, chaque matin, l’ensemble de mes serviettes quasiment propre, pour bien leur montrer que je ne suis pas dupe et inciter ces hôteliers indélicats à ne pas nous prendre pour des imbéciles. Sauf bien sûr quand je tombe, par miracle, sur un établissement n’affichant pas la maudite étiquette dans la salle de bains, auquel cas je prends bien soin de conserver mes serviettes pour les réutiliser le jour suivant…

Même chose pour ces employeurs qui se moquent de l’environnement comme de leur premier bilan, mais qui nous invitent avec diligence à bien éteindre la lumière en sortant des toilettes… pour faire des économies d’énergie et donc diminuer nos rejets polluants, cela va de soi. Bon, avouons-le, c’est surtout pour diminuer la note d’électricité que doit payer l’entreprise, et donc faire sortir moins d’argent de la poche de l’employeur, sans pour autant que votre salaire en soit pour autant augmenté du moindre centime, mais la pingrerie bonne gestion ne doit pas craindre de se vêtir des habits de la vertu écologique, car tous les moyens sont bons pour faire de l’argent aux dépens d’autrui…

Moi, dans ces cas-là, non seulement je n’éteins pas en sortant des toilettes, mais je vais jusqu’à me donner le mal d’allumer partout avant de sortir.

jeudi 24 janvier 2013

Florence Cassez est-elle innocente ?




[AVERTISSEMENT : si ce blog est bien sous-titré « Photographie et opinions », nous sommes clairement, ici, dans la partie « opinions ». Je le précise, au cas où…]

Après de nombreuses années d’emprisonnement au cours desquelles elle « n’a cessé de clamer son innocence », Florence Cassez est revenue en France, à la suite d’une décision de libération immédiate rendue par de la Cour suprême mexicaine.

Tout le monde se réjouit de la voir revenir. « Son innocence a été reconnue ! », clame-t-on de toutes parts.

Pourtant, il n’en est rien : nous assistons une nouvelle fois à la propagation d’informations partielles, tronquées, déformées, simplifiées, prédigérées pour que le grand public assimile plus aisément le message.

En vérité, l’innocence de Florence Cassez n’a pas été reconnue. Ce qui a été reconnu, c’est qu’elle avait été arrêtée dans des conditions manifestement illégales, procéduralement parlant, et qu’en conséquence, du point de vue du droit aussi bien que du bon sens (pour une fois accordés), les juges ne pouvaient qu’ordonner son élargissement.

Pour autant, à ce que je sache, l’impossibilité de la garder en détention n’a rien à voir avec le fait qu’elle soit coupable ou non des faits qui lui étaient reprochés. Cette culpabilité, me semble-t-il, a été à tort ou à raison reconnue par plusieurs tribunaux mexicains devant lesquels il faudrait, si la chose était possible, qu’un nouveau procès se tienne sur le fond de l’affaire pour que l’on puisse dire un jour si « son innocence a finalement été reconnue » ou pas.

Je n’ai bien entendu rien contre Florence Cassez ; ce petit billet est simplement l’occasion de regretter qu’aucun media sérieux n’ait su faire la distinction entre erreur de procédure et erreur sur le fond. Il semble que seuls certains media mexicains fassent cette différence, ce qui est assez navrant au pays de Descartes —devenu entretemps, il est vrai, la patrie de la Star Ac’.

samedi 19 janvier 2013

Pourquoi je n’aime pas Sigma, Tamron et les autres



On voit souvent des utilisateurs de reflex munis d’objectifs fabriqués par des tiers, c’est-à-dire d’une marque différente de celle de leur boîtier.

En revanche, lorsqu’on regarde les pros, que ce soit aux Jeux Olympiques, à la montée des marches au Festival de Cannes ou à la dernière réunion du G8, 10 ou 20, on voit que tous les boîtiers Canon sont équipés d’objectifs Canon, et tous les boîtiers Nikon d’objectifs Nikon.

Cette simple constatation doit déjà nous dire qu’aux yeux des pros pour qui le prix n’entre pas véritablement en ligne de compte, et qui veulent la qualité optique maximale et la performance mécanique maximale, les Sigma & consorts ne sont pas dans la course. Il y a certainement une leçon à en tirer, non ?

Certes, les objectifs fabriqués par les tiers sont nettement moins chers. Leurs performances optiques sont souvent bonnes, parfois même très bonnes, mais rarement partout au même niveau que celles des objectifs du fabricant du boîtier (je parle pour Nikon, en ce qui me concerne, et mes amis Canonistes disent la même chose). Mécaniquement, ils sont parfois très bien construits mais, là encore, pas véritablement au même niveau que leurs concurrents, notamment en termes de résistance aux intempéries. Leur autofocus est souvent moins rapide et moins précis que celui des objectifs de la marque, et leurs bagues ne tournent pas avec la même sensation de douceur veloutée, si agréable à l’usage.

Et surtout —et c’est là, bizarrement, un argument qui est rarement évoqué— les ingénieurs de Sigma ou Tamron ou des autres du même tonneau ne sont pas dans le secret de ce que mijotent Nikon ou Canon ou Pentax pour leurs futurs boîtiers. Quand ils conçoivent un objectif « compatible », il est compatible avec ce qui existe aujourd’hui. Ce même objectif sera-t-il toujours compatible avec les modèles qui sortiront dans quelques années, et exploitera-t-il à fond toutes leurs nouvelles possibilités électroniques ? Peut-être pas, alors pourtant qu’un objectif a vocation à être un investissement à bien plus long terme qu’un boîtier…

En revanche, un objectif conçu dans les mêmes bureaux d’étude que les boîtiers, lui, aura toutes les chances d’assurer cette compatibilité, et plus on ajoute d’électronique à la mécanique et à l’optique traditionnelles des objectifs, plus cet argument est pertinent.

C’est pourquoi, en ce qui me concerne, je préfère dépenser davantage pour acquérir des objectifs de qualité dont je sais que je les garderai pendant des années et des années, sans aucun souci de compatibilité avec mes boîtiers futurs. Je comprends ceux qui, notamment (allez, soyons honnêtes : essentiellement) pour des raisons budgétaires, font un choix différent, mais je ne changerai pas ma façon de faire pour la leur.

Une petite exception, peut-être, pour certaines focales fixes de très haute qualité et à mise au point manuelle, comme les produits Zeiss, car ils se reposent moins sur les automatismes que les zooms bon marché de certains fabricants japonais, et sont donc moins exposés au risque d’incompatibilités futures, bien qu’ils y soient aussi exposés dans la mesure où ces optiques échangent des informations par voie électronique avec le boîtier.

mardi 1 janvier 2013

L’informatique, c’est savoureux !



L’un des amis que nous avons reçus pour le réveillon nous a apporté une magnifique corbeille de produits régionaux. Comme il est du Sud-Ouest, région de bonne bouffe s’il en est, je me pourléchais les babines à l’idée de déguster l’une des mini-terrines contenues dans ce panier. Ce soir, histoire d’atterrir en douceur tout en ne perdant pas la main après deux semaines de marathon gastronomique, j’avise une « Terrine de lapin à l’estragon » de belle apparence dans son bocal de verre et je vais pour l’ouvrir quand une mention, fièrement apposée sur le couvercle, attire mon regard :

« Produit fabriqué dans l’entreprise, sous assurance qualité et contrôle informatique » !

Saperlipopette ! Qu’est-ce qu’ils ont encore été nous inventer là ?

« Produit fabriqué dans l’entreprise », c’est pour nous dire quoi ? Que ça ne risque pas de venir d’une de ces fermes à l’entour où l’on cuisine de délicieux produits du terroir, bien frais et goûteux, loin de tout souci de stérilisation ? Ben, c’est réussi.

« … sous assurance qualité… » : dormez tranquilles, bonnes gens, on a traqué le moindre microbe, la moindre bactérie, il n’y a absolument plus rien dans ce bocal qui soit susceptible de donner du goût à votre terrine…

« … et contrôle informatique » : alors, là, c’est le bouquet ! Voilà qu’en plein cœur de la France des régions, la France du goût et du terroir, en un mot comme en cent : à Tarbes, on nous concocte de la terrine de lapin à l’estragon sous contrôle informatique ! Et on s’en vante ! Ah, vous pensez comme on est rassuré ! Au moins, on peut être sûr, avec ces gens-là, que nos traditions culinaires sont en de bonnes mains, sans risque d’être bradées aux technocrates moralisateurs de Bruxelles, toujours prêts à essayer de transposer chez nous les normes américaines, parce que c’est forcément mieux et plus chic quand ça vient de là-bas !

Vous ferai-je un aveu ? Ma terrine de lapin informatisée m’a subitement parue beaucoup moins attirante… Je crois que je vais la laisser aux enfants : au moins, eux qui bouffent de la console toute la journée, ils ne seront pas dépaysés.

dimanche 30 décembre 2012

Partager ? Ou… frimer ?



Parmi les mots à la mode que chacun se doit d’utiliser çà et là, figure depuis quelques années le concept de « partage ». À coup sûr une belle et noble idée s’il en est ; ou du moins, ce serait le cas si ce « partage » n’était pas, la plupart du temps, le déguisement fourre-tout qui sert à masquer, en réalité, le fait qu’on nous impose ce dont on ne veut pas : certains croient devoir « partager » leur musique (ou ce qu’ils appellent ainsi) que nous n’avons nulle envie d’entendre, d’autres « partagent » leurs impressions en nous tenant la jambe au téléphone quand nous avons bien mieux à faire ailleurs, et bien entendu, les photographes « partagent » leurs images, ce « partage » n’étant rien d’autre que le toilettage moderne de la bonne vieille séance de projection de diapos que l’oncle Anatole nous faisait subir dans les années 70 à chaque retour de Plougastel-Daoulas. C’est toujours aussi interminable, et toujours aussi ch…, mais comment protester alors qu’on est en train de vous faire aimablement « partager » ce qu’on aurait pu garder pour soi, sans vous en faire bénéficier ?

L’altruisme, toutefois, est en l’espèce quelque peu douteux. En effet, le plus souvent, il s’agit davantage de se mettre soi-même en valeur, d’essayer de se faire admirer, bref de s’attirer cette reconnaissance d’autrui que la télé-réalité a élevé au rang de must quasi-quotidien. Car ce qu’on attend de ce soi-disant « partage », ce sont bien, et avant tout, les commentaires louangeurs qui nous confirmeront que notre prochain, non seulement nous aime, mais encore nous place au-dessus de lui-même puisqu’il admire nos œuvres —ce qui sous-entend, selon nous, qu’il serait incapable d’en faire autant.

Les réseaux sociaux, bien entendu, se sont engouffrés dans la brèche et ont bâti leur succès sur ce besoin que chacun éprouve de se mettre en vedette, ou du moins en lumière, de bénéficier de son quart d’heure (voire seulement de sa minute) de gloire, en imposant au reste du monde le « partage » de ce qu’il n’a, par ailleurs, aucune envie de voir ni de lire ni d’entendre.

Ce besoin que beaucoup éprouvent d’essayer de frimer aux yeux des autres n’est certes pas nouveau, mais alors que, naguère, seul l’entourage proche en « bénéficiait », aujourd’hui Internet fournit à ces comportements une caisse de résonance bien plus ample, ce qui fait que, comme avec les bombes « sales », les retombées arrosent, hélas ! un périmètre beaucoup plus vaste.

C’est comme avec les fautes d’orthographe : même si la merveilleuse réforme de l’école post-1968 a bien accéléré les choses, il y a toujours eu un grand nombre de personnes incapables d’écrire correctement le français. Simplement, avant, elles ne prenaient pas la plume, ou du moins vous ne bénéficiiez pas de leurs perles si vous n’en aviez pas dans votre entourage, et qu’aucune n’était donc susceptible de vous écrire. Aujourd’hui, l’écrit public, à cause d’Internet, est partout. Le fait que la plupart des gens écrivent comme ils parlent est devenu patent, et le langage dit « SMS » est venu en rajouter une couche là où il n’en était vraiment point besoin. On en est à un point tel que cela paraît souvent vieux jeu d’appeler au respect de l’orthographe sur tel ou tel forum du Web : la loi du nombre joue à fond et le « partage » des barbarismes est monnaie courante.

Allez ! J’arrête là, il faut que j’aille sur Flickr partager mes dernières photos et lire mes commentaires !