mardi 5 juin 2012

TIPA: le doigt dans l’œil...

Vous connaissez, j’en suis sûr, l'histoire de ce petit restaurant de quartier, délicieux, convivial et pas cher qui, à force que cela se sache et que le bouche-à-oreille fasse son œuvre, est devenu de plus en plus cher et de moins en moins sympa, avec une qualité plafonnante? Ou encore l'histoire, que j'ai résumée en début de blog, de ce super-magazine de photo, iconoclaste et drôle, devenu quelques années plus tard tout aussi puant, dans son genre, que les institutions dont il se moquait jadis, et prétendait déboulonner?

Eh bien, les prix TIPA (Technical Image Photo Association) sont fermement engagés sur le même chemin. Jadis vraies récompenses annuelles décernées par un collège de journalistes européens spécialisés et indépendants, ces prix très recherchés ont couronné pendant des années des produits qui le méritaient, et constitué des repères authentiques et fiables pour des millions de clients plus ou moins profanes.

Je n’oserai pas aller jusqu’à dire qu’aujourd’hui que des journaux américains et asiatiques ont rejoint l’aréopage initial, le jury des prix TIPA a quelque peu renoncé à son indépendance, mais enfin, force est de constater que la multiplication démentielle des catégories de produits récompensés permet de nourrir quelques doutes quant au sérieux général de l’entreprise...

Prenons quelques exemples relevés à l'occasion de la publication du palmarès 2012:

D’abord, la TIPA décerne cette année pas moins de 40 prix…! Je vous laisse juge de l’opportunité d’avoir maintenant 4 catégories distincte de boîtiers (en sus des « amateurs », « experts » et « pros », voici venir les « avertis » —qui comme chacun sait, en valent deux), mais à supposer même que ce soit une bonne idée, pourquoi appeler le premier niveau « entrée de gamme » chez les reflex, « amateur » chez les hybrides, et « généraliste » chez les compacts ? Et, si l’on décide de n’avoir que des « généralistes » et des « experts » chez les compacts (ce qui se défend), pourquoi diable avoir créé des prix supplémentaires pour les « compacts superzoom » et les « compacts baroudeurs » ? Pour avoir aussi 4 prix chez les compacts, comme chez les hybrides et les reflex ? Il n’y a guère de justification là-dedans, sinon le désir de pouvoir « arroser » un peu tout le monde, afin de ne déplaire à aucun fabricant.

Continuons avec les objectifs : comme nous avions 4 types de prix pour les boîtiers, nous allons évidemment retrouver ces 4 catégories pour les objectifs, n’est-ce pas ? Eh bien non, perdu ! Il y en a trois seulement, na : amateur, expert et pro, tant pis pour les « avertis » (on les avait prévenu) qui n’ont pas droit à leurs objectifs à eux.

Je vous passe les catégories bidon du genre « Meilleur accessoire » (meilleure catégorie fourre-tout pour récompenser n’importe qui oublié jusque là !) ou « Meilleur accessoire numérique » (euh… on ne doublonne pas un peu, là ?), pour terminer avec le véritable clou, l’apogée de la nullité journalistique, le firmament de la bêtise créative, l'aveu affligeant du désir effréné de faire plaisir à nos annonceurs, j’ai nommé… le prix… tenez-vous bien… du « Meilleur appareil haut de gamme » ! Si, si ! Ils l’ont fait ! Bien sûr, vous aurez compris que ce prix va au Leica M9-P, tellement médiocre et dépassé techniquement que seuls les éperdus de frime et aficionados absolus de la marque en veulent, à l’exclusion de tous les pros (si vous voulez avoir une idée de ce qu’il vaut vraiment, lisez ceci http://www.dpreview.com/articles/4052788152/shooting-with-the-leica-m9-p)… mais voilà… il fallait bien lui donner un prix… alors, on a inventé une catégorie complètement à part, rien que pour lui seul —comme ça, il était sûr de gagner !

C'est à peu près comme si, ayant des envies de jouer les Djokovic (puisque c’est de nouveau l’époque de Roland-Garros), je créais le classement mondial des joueurs de tennis de plus de 25 ans demeurant à mon adresse... Là aussi, ayant éliminé mes enfants par le critère de l’âge, je serais sûr d’être numéro 1!

Bref, les TIPA se sont définitivement déconsidérés, cette cuvée 2012 ayant choisi sans ambigüité de basculer dans le ridicule. Mon seul regret est que mon magazine favori, Réponses Photo, soit (reste?) associé à ce qui est désormais une mascarade auprès de laquelle le jury de Cannes fait figure d’Académie Nobel. Espérons que les parties prenantes sauront très vite redresser la barre, faute de quoi leur palmarès sera la risée annuelle de tous ceux qui ont deux sous de jugeote. Après tout, les occasions de rigoler ne sont pas si fréquentes...