dimanche 22 juillet 2012

Où va la photo ?


Les lecteurs de ce blog savent que j’aime bien le magazine Réponses Photo (ils savent aussi ce que je pense de son concurrent Chasseur d’images). Depuis plusieurs mois déjà, le magazine se demande ouvertement Où va la photo ?, et dans son dernier édito (pardon : « bloc-notes » !), Jean-Christophe Béchet, le rédac’ chef (pardon : « adjoint » !) dont les points de vue sont marqués au coin du bon sens, se fait de nouveau l’écho de cette préoccupation.

Personnellement, que Polaroid soit mort alors que les créateurs d’Instagram font fortune ne me semble pas illogique ; les gagnants du moment sont ceux qui savent proposer ce que veut le grand public du moment, et à part au nom de la pure nostalgie, il n’y a pas lieu de déplorer qu’un procédé qui eut du succès il y a quelques décennies ait été rendu obsolète par le progrès technique. C’est la loi du genre, et qui aujourd’hui comprendrait que l’on ait regretté la disparition des lourds et complexes procédés photographiques du XIXe siècle lorsqu’apparurent les films modernes ? Moi, je suis bien content d’avoir un traitement de texte pour écrire cet article, plutôt que de devoir raturer mille fois mon brouillon manuscrit, avant de le taper à la machine ! Tout cela, ce ne sont que des moyens au service d’une fin. Différents moyens séduisent différentes catégories d’utilisateurs ; aujourd’hui n’est pas ce que fut hier, ni ce que sera demain. Jean-Christophe n’est pas touché par ce que permet Instagram ; moi non plus, de même que je n’ai aucun intérêt pour les capacités vidéo de mes boîtiers, mais si cela peut apporter quelque chose à d’autres, aussi longtemps que cela ne m’enlève rien, je ne vois aucune raison de me plaindre.



Là où Jean-Christophe touche un point plus délicat, c’est lorsqu’il relève qu’il y a « trop de photographes » et « plus assez de  simples  spectateurs ». Ce foisonnement, largement le fruit de la diffusion massive des moyens de prise de vues et de publication « gratuits » (une photo numérique ne coûte rien à prendre ni à poster sur internet), entraînerait une perte des repères classiques qui délimitaient clairement les domaines des pros (ceux qu’on publiait dans les livres et la presse écrite) et ceux des amateurs, adeptes de la photo familiale du dimanche qui ne « publiaient » que dans leur cercle de famille. Ces repères-là ont été brouillés par internet, c’est vrai, mais ça ne date pas d’hier : quand je faisais de la photo argentique dans les années 70 ou 80, aucune marque ne proposait de boîtiers dits « experts ». Pourtant, cette nouvelle segmentation du marché existe depuis des années, et n’est pas née grâce à Facebook.

Quoiqu’il en soit, ce foisonnement est aussi, très largement, une affaire de mode : la photo est à la mode, et il est normal que, parmi les centaines de millions de personnes qui se sont improvisées photographes depuis quelques années grâce au numérique, de talentueuses images aient émergé par milliers. Cette mode-là passera comme les autres, lorsque le projecteur de l’actualité glissera d’ici quelques années vers d’autres centres d’intérêt.



À Jean-Christophe qui se demande quel est aujourd’hui le rôle de son magazine face à l’emballement quantitatif et au « bouillonnement » de cette « marmite contemporaine » où « la photo grand public est entrée dans l’ère de l’épate, de nombrilisme et du narcissisme nostalgique » (c’est bien dit), je dirai : artistiquement parlant (c’est-à-dire hors essais de matériels, etc.), un magazine comme Réponses Photo est là pour prendre position, être le porte-parole d’une doctrine (il faut savoir choisir son camp), faire preuve de toujours plus d’exigence, et pour prôner la quête de la qualité dans la durée… ce qui ne va pas de soi du tout ! Aujourd’hui, « la qualité technique d’une photo ne suffit plus », dit Jean-Christophe. Ah ? Mais se demande-t-on vraiment si telle ou telle photo est si qualitative que cela ? Dans mon domaine d’activité privilégié (la photo que j’appelle « de patrimoine »), je vois tant de photos mal composées, avec un horizon bancal, des verticales convergentes, des hautes lumières brûlées… et pourtant ces photos sont publiées, vantées, voire même utilisées comme publicités pour montrer ce que l’on pourra ou saura faire si l’on suit tel ou tel stage…!



Au-delà du foisonnement de coups de génie qui resteront sans lendemain, il est temps de défendre les concepts de base de la photographie de qualité et de savoir prendre parti en remettant clairement à leur place les gadgets tels que cette « app Newton pour transformer en femme fatale sa petite amie photographiée dénudée dans un Etap Hôtel de la banlieue parisienne » —encore une jolie formule qui, souhaitons-le, fera date !