vendredi 20 avril 2012

La crise? Quelle crise?

La crise, paraît-il, est partout. Les gens sont inquiets pour l’avenir. Le chômage gagne, la pauvreté touche maintenant les classes moyennes, et même des personnes disposant dun salaire régulier sont obligées de coucher dans leur voiture faute de pouvoir se payer un logement...

Je ne doute pas, évidemment, que tout cela soit vrai. Néanmoins, je voudrais aussi souligner quelques évidences que chacun peut constater par soi-même.

La crise est partout, mais les restaurants sont pleins. Au pied de l'immeuble quhabite ma mère, dans lest parisien (pas dans le XVIe, donc), se trouve une pizzeria pas franchement bas de gamme, puisquon en a facilement pour 70 euros à deux. Eh bien, non seulement cette pizzeria affiche complet tous les soirs, y compris en semaine, mais encore son propriétaire a-t-il racheté successivement deux locaux commerciaux voisins (anciennement occupés par une galerie de tableaux et un établissement de crédit) pour agrandir la salle de son restaurant! Et il y a encore, bien souvent, la queue à l’extérieur... Or, on y mange correctement, c’est certain, mais enfin, quoi, ce n’est jamais qu’une pizzzeria comme tant d’autres! 

La crise est partout, mais on voit sur la route un nombre impressionnant de voitures flambant neuves, et personnellement je ne fais pas le moindre trajet domicile-bureau sans croiser plusieurs derniers modèles de haut de gamme fabriqués outre-Rhin... et à en juger par lenthousiasme avec lequel leurs conducteurs sollicitent l'accélérateur, laddition à payer à la pompe na pas lair de leur causer beaucoup danxiété. La consommation de carburant a, paraît-il, diminué en mars, pourtant je constate toujours, autour de Lyon, la même densité dembouteillages, preuve que, lorsque je me rends à mon travail le matin, beaucoup de gens font la même chose —et, partant, ont donc un emploi.

La crise est partout mais, pour une simple petite intervention sur ma voiture, mon garage (pas situé dans une zone à hauts revenus) me fait attendre presque deux semaines, en affirmant quil ne sait plus où donner de la tête tellement il a de travail... Or, comme chacun le sait, les tarifs de la réparation automobile ont énormément augmenté ces dernières années (ils auraient tort de s’en priver, apparemment), et de plus nous ne sommes même pas encore à la veille des vacances dété! Quant aux plombiers, vous savez ce quil en est.

La crise est partout mais, lorsque Nikon sort un nouveau boîtier à 3.000 dollars (ou 3.000 euros, oublions la peccadille selon laquelle l'euro vaut 30% de plus que le dollar...), les commandes sont tellement nombreuses quelles dépassent totalement les prévisions industrielles du fabricant, causant une pénurie au niveau mondial...

La crise est partout mais, lorsque jessaie de réserver un hôtel pour passer quelques jours cet été à Rome ou au bord du lac de Côme (les prix là-bas sont absolument hallucinants!), jai toutes les peines du monde pour trouver un hôtel de bon standing qui ait encore de la place... et nous sommes mi-avril, quatre mois à lavance...

La crise est partout mais tout récemment, une jeunette de vingt et quelques années, fraîche émoulue de l'université à qui on proposait un stage (bien rémunéré!) de six mois, l’a refusé en nous faisant remarquer que venir jusqu’à notre campus (par un bus direct depuis le centre ville, sans le moindre arrêt) allait lui prendre une demi-heure, et que c’était trop loin... Pauvre bichette qui a encore beaucoup à apprendre de la vie —mais il y a là, une fois encore, des parents qui n’ont pas fait leur métier!

La crise est partout et tous les commerçants se plaignent... mais leurs heures douverture demeurent imperturbables, et leurs congés aussi. Certes, ils courent éperdument après les rares clients, mais enfin, disons, ils courent à une allure raisonnable... Ce que lon comprend, d'ailleurs, quand on a le malheur d'aller au centre commercial de la Part-Dieu un samedi après-midi, en se disant qu'avec la crise, justement, il ny aura sans doute pas trop d'affluence... Eh bien, (très) mauvais calcul! Et si cest ainsi à Lyon, jimagine commen ce doit être à Paris.

Tout ce que je constate et que je rappelle ci-dessus, chacun peut également le constater. Certes, les situation difficiles, voire dramatiques existent, il serait absurde de le nier. Mais il me semble aussi que lon exagère grandement, en tous cas à ce jour, la situation, et ça, finalement, c'est plutôt une bonne nouvelle.

mardi 17 avril 2012

Jouer avec la profondeur de champ

Photographier, c’est, entre autres, représenter sur un support plat, à deux dimensions, une réalité en trois dimensions: longueur, largeur, mais aussi profondeur.

La «profondeur de champ», c’est le nom du concept, de l’outil qui nous aide à matérialiser sur une photo la «vraie profondeur», celle que l’on perçoit à chaque instant dans le monde réel. Comme une photo n’a pas de profondeur, elle va simuler, ou reproduire, cette profondeur en termes de netteté. Par exemple, le sujet principal au premier plan, sur lequel on a fait le point, sera net ou perçu comme tel par notre œil; et le tableau accroché sur le mur du fond de la pièce, derrière notre sujet, sera, lui partiellement flou. Cette différence de netteté permettra à notre cerveau, lorsque notre œil regardera la photo, d’interpréter le tableau comme se trouvant à une certaine distance derrière le sujet principal, alors qu’objectivement, tableau et sujet principal sont tous sur le même plan, celui du papier-photo ou de l’écran sur lequel la photo est reproduite ou affichée.

Entre le sujet principal bien net, et l'arrière-plan très flou, peuvent se trouver d'autres éléments intermédiaires qui seront perçus comme «quasiment nets» ou comme «presque aussi flous que le tableau»: notre cerveau, là encore, pourra attribuer une gradation dans les distances respectives séparant les différents plans présents sur la photo, en fonction de leur degré de «floutage». Selon que beaucoup d'éléments sur la photo seront nets ou pas, on dira que la profondeur de champ est longue (quand tout est net) ou courte (quand peu d’éléments sont nets).

La capacité d'un appareil-photo a différencier le sujet principal bien net de l'arrière-plan bien flou (il peut exister aussi des flous d’avant-plan, bien sûr) dépend, mais pour partie seulement, de ce que décide le photographe. En effet, pour des raisons optiques, un facteur important dans la production d'un flou quantitativement important et qualitativement harmonieux à l’œil, est la taille du support sur lequel se forme l’image, c’est-à-dire, de nos jours, le capteur photosensible. Les petits capteurs présents dans les appareils compacts ou les bridges permettent rarement de produire un flou marqué, quels que soient par ailleurs les efforts du photographe; avec eux, «tout est net» (c’est souvent un argument de vente!) et l’on n’y peut pas grand-chose.

En revanche, avec les reflex et leurs capteurs plus grands, le photographe a la possibilité de réaliser de jolis flous, surtout que les reflex permettent également d'utiliser des objectifs, non seulement de longue focale et à grande ouverture, deux qualités essentielles pour bien détacher le sujet principal du fond, mais encore des objectifs dont la formule optique a été spécialement optimisée pour produire de jolis flous. Dans le principe, la recette pour y parvenir est simple:
  1. Utilisez un objectif de la plus grande longueur focale possible ou, si vous utilisez un zoom, réglez-le sur cette plus grande longueur possible;
  2. Utilisez votre objectif à sa plus grande ouverture possible;
  3. Placez votre sujet principal, celui sur lequel vous allez faire le point, aussi près que possible de l'appareil; et
  4. Placez votre sujet principal devant un fond aussi distant que possible, et comportant le moins de détails possible.
Et voilà!

Quelques exemples:

Sur cette photo prise à Venise, j’ai détaché l’arête du mur de briques du fond et profité du fait que la partie inférieure blanche semble être le soubassement de la partie en briques, alors que cette partie blanche est en vérité un parapet horizontal sur lequel j’étais assis. Photo faite avec un petit téléobjectif de 85mm à pleine ouverture (f/1,4).  


Cette photo, prise avec un téléobjectif de 400mm à pleine ouverture (f/4), a permis de bien détacher le sujet (le bateau et ses membres d’équipage) du fond (la côte).



Même avec un sujet aussi peu profond qu'un appareil-photo, on peut créer un flou intéressant en photographiant d'assez près avec un objectif assez long à plein ouverture (ici, un téléobjectif de 135mm, typiquement utilisé pour le portrait, à l'ouverture maximale de f/2)
Le flou dans une photo est souvent appelé (en particulier par nos amis anglo-saxons) bokeh, mot japonais synonyme de flou. En soi, le terme bokeh n’implique aucun jugement esthétique puisqu’il est nécessaire de lui adjoindre des qualificatifs ou des descriptifs tels que «un joli bokeh», «un bokeh harmonieux, crémeux, velouté», etc.

Savoir produire et mettre à profit un joli flou est l’un des outils essentiels à la disposition du photographe. Pour un objectif donné monté sur un boîtier donné, le premier critère favorisant la production d'un flou (que l’on espère harmonieux) est l’ouverture du diaphragme: plus elle sera grande, plus la profondeur de champ sera courte, et plus le flou sera prononcé. Se rapprocher du sujet, et éviter qu'il ne soit devant un arrière-plan trop rapproché ou trop texturé, faciliteront également les choses.

Pour finir, rappelons-nous qu'il n'est pas toujours souhaitable d’avoir du flou: parfois, au contraire, il importe que «tout soit net» —ou semble l’être:

Reflets dans le port d’Antibes: l’eau au premier plan, comme le bateau au second, doivent être nets.

... Et il y a aussi des situations où l’on doit savoir doser le flou (un peu, mais pas trop) pour produire l'effet souhaité:

Arsenal de Venise.

Et maintenant, à vous de jouer!

jeudi 12 avril 2012

Da Vinci Code : plaisir, rage et fatalisme


Puisqu’il n’est pas question que de photo sur ce blog, laissez-moi vous dire que j’ai récemment relu le Da Vinci Code, de Dan Brown, qui fit tant parler de lui (ainsi que le film —médiocre— qui en fut tiré) au cours de la décennie précédente.

Je l’ai relu avec plaisir, avec rage et avec un fatalisme amusé.

Plaisir parce que, avant tout, l’intrigue est bien conçue. Toutes les œuvres de fiction qui utilisent les ressorts des plus grands mystères de l’humanité stimulent notre imagination et nous font facilement rêver ; les mystères relatifs à l’existence d’un ou de plusieurs dieux en font partie, et si certaines intrigues mystérieuses que l’on pourrait peut-être construire à partir de la Torah, du Coran ou des textes bouddhiques ou taoïstes nous seraient évidemment plus absconses (il est curieux, d’ailleurs, qu’il n’y en ait pas, ou qu’on n’en ait pas entendu parler en Occident…), celles qui prennent le christianisme pour argument nous sont évidemment bien plus familières, que nous soyons croyants ou non. Dans le même genre, souvenez-vous comme l’intrigue d’Indiana Jones et la dernière Croisade fonctionnait bien : tout ce qui touche au mythe du Graal nous sollicite fortement, car c’est sans doute le chemin le plus connu par lequel l’homme pourrait espérer entrer en contact avec le divin supposé. Autant une description détaillée du Paradis céleste nous émouvra peu, puisque nous n’avons aucun espoir de pouvoir un jour l’expérimenter et en parler ensuite car nous ne pourrons y accéder, pour autant qu’il existe, qu’après notre mort, autant une description de la vie du Christ, qui a très probablement existé sur Terre, mais surtout une description de celles et ceux qui l’ont entouré, et de ses/leurs éventuels descendants, nous semble beaucoup plus palpable, tangible, surtout lorsqu’on ajoute, par exemple, que cette même descendance aurait pu se serait perpétuée jusqu’à nos jours.

Bref, tout ce qui offre une possibilité raisonnable de nous mettre en contact plus ou moins direct avec le divin avéré ou supposé, est un excellent argument de base pour une œuvre de fiction, avec ce risque omniprésent que l’intrigue parte trop fort ou monte trop haut, et que le dénouement, par contraste, apparaisse faiblard et tristement matériel, dépourvu du merveilleux qui nimbait l’intrigue à son début.

À cet égard, l’intrigue du Da Vinci Code ne déçoit pas, et c’est assez remarquable pour être souligné. Il y avait à la fin d’Indiana Jones et la dernière Croisade (film construit sur le même thème) une forme de déception, de letdown, de « tout ça pour ça ? », que j’ai ressentie aussi à la lecture du Miserere de Jean-Christophe Grangé (qui fonctionne sur un autre registre, mais lui aussi en lien avec le divin mystérieux). Pas de cela chez Dan Brown, qui parvient à donner à son dénouement une teinture de merveilleux qui ne déçoit pas, de même qu’avait pu le faire un autre romancier américain, Richard Ben Sapir, dans un merveilleux livre, Quest, passé totalement inaperçu lors de sa publication en 1987 et qui aurait sans doute fait un formidable film d’aventures si le décès de l’auteur, la même année, suivi de problèmes de succession, n’avait pas tué dans l’œuf tout projet de ce genre.

Un autre roman du même Ben Sapir, The Body, illustre d’ailleurs parfaitement ce concept d’une (trop) passionnante idée de départ qu’on ne parvient pas à mener à terme. Jugez-en : lors de travaux de construction à Jérusalem, les terrassiers mettent à jour une tombe antique, phénomène courant dans cette ville, mais qui entraîne forcément l’intervention des pouvoirs publics. Enquête préliminaire faite, une série de constatations scientifiques troublantes laisse à penser que cette tombe pourrait celle… du Christ. Problème : le corps du défunt (supposé ressusciter et monté aux cieux, rappelons-le pour ceux qui n’auraient pas suivi) est toujours à l’intérieur…! On imagine quelles perspectives passionnantes s’ouvrent dès lors pour le romancier… La suite ne tenait, hélas ! pas les promesses du début, et quant au film qui, cette fois, fut effectivement tiré du roman en 2011 avec Antonio Banderas, il était rigoureusement insipide, un nanar total.

Mais revenons au Da Vinci Code. L’intrigue, on l’a dit, est excellente. C’est plutôt bien écrit, en tous cas la version originale, car la traduction française est dans une langue beaucoup plus médiocre. Tout cela participe au plaisir de la relecture, presque dix ans après.

La rage, elle, provient, comme elle provenait déjà il y a dix ans, d’une accumulation de détails approximatifs, stupides, franchement erronés, et qu’il aurait pourtant été si facile d’éviter.

Ce genre de roman, même s’il part d’un argument appartenant au merveilleux (je dirais même : surtout s’il part d’un tel argument), doit se montrer d’une authenticité matérielle sans faille (enfin, autant que possible), afin d’ancrer dans une réalité tangible et vérifiable (bref : crédible) ses développements imaginaires forcément assez osés. En résumé, pour qu’on y croie, pour mettre fin au scepticisme initial du lecteur (ce que nos amis anglo-saxons appellent suspension of disbelief), le roman doit être irréprochable dans tout ce qu’il a de matériel et que le lecteur peut vérifier par lui-même. Or, c’est bien dans ce domaine que le Da Vinci Code pèche gravement —au contraire, par exemple, des Harry Potter qui, en dépit de leur prémisse totalement fantasmagorique, déploient une remarquable cohérence interne.

Je donnerai quelques exemples, parmi les plus criants.

Qui peut croire que les quatre personnes à la tête d’une organisation secrète aussi sécurisée que le Prieuré de Sion, détentrice du secret du Graal, vivent toutes les quatre dans la même ville (Paris), de telle sorte qu’il est commode de les assassiner tous en l’espace de quelques heures ? Même en oubliant l’assassin brownesque, ces quatre personnes, seules détentrices du secret, n’auraient-elles pas été à la merci du même cataclysme ou du même attentat terroriste, vivant toutes dans un espace de quelques kilomètres carrés ? Même à supposer que ces personnes soient toutes françaises, ce qui semble peu probable pour une organisation dont on nous montre par ailleurs le passé très cosmopolite, n’était-il pas de la plus élémentaire prudence qu’elles résident à plusieurs centaines de kilomètres l’une de l’autre, voire même dans des pays différents ?

Qui, ayant même brièvement visité Paris, peut croire que les voitures (fussent-elles de police) circulent au milieu du jardin des Tuileries, à l’exception bien entendu du passage du Carrousel ? Qui peut imaginer que Dan Brown n’ait pas été capable de décrire le véritable parcours urbain qui conduit de l’hôtel Ritz, place Vendôme, au musée du Louvre, ce dont n’importe quel lecteur, s’amusant à retracer cet itinéraire sur Google Maps, s’apercevra forcément ? Pourquoi faire l’insigne bêtise de placer la rue Haxo à côté du du stade Roland-Garros, alors qu’elle est à Belleville, à l’autre bout de Paris ? Pourquoi de telles incohérences géographiques élémentaires et si faciles à constater, sans parler de celles, sans doute plus nécessaires au développement de l’intrigue, concernant l’intérieur du musée du Louvre lui-même ? Dan Brown nous abreuve de détails sur le parquet soi-disant mythique de la Grande Galerie, puis nous démontre de manière criante que, loin de s’être donné le mal (le plaisir ?) de venir à Paris en repérage, il n’a même pas pris la peine de se procurer un plan de la ville. Certaines des erreurs les plus flagrantes ont d’ailleurs été fort à-propos expurgées de la traduction française…

Je passe sur le fait qu’un simple capitaine (répondant à l’improbable patronyme de Bézu Fache !) puisse être le patron de la police judiciaire et, bien sûr, sur les nombreuses autres approximations, erreurs factuelles et invraisemblances qui parsèment le livre et qui ont déjà été relevées des milliers de fois. Ce qui est véritablement rageant, c’est que dans leur immense majorité, elles auraient pu être évitées sans aucun dommage pour le déroulement de l’histoire, qui y aurait notablement gagné en termes de crédibilité.

Voilà donc pour la rage. Le fatalisme amusé, quant à lui, provient du fait que, finalement, toute l’histoire du Da Vinci Code est fondée sur l’existence de cette mystérieuse société secrète, le Prieuré de Sion, prétendument fondée au XIe siècle, et dont Dan Brown nous affirme, au début du livre, qu’elle existe réellement.

Le Da Vinci Code a été publié en 2003. Or, début 2000, décéda un certain Pierre Plantard, affabulateur et mythomane, qui avait créé le Prieuré de Sion en 1956 (c’est plus prosaïque que 1099 !) pour défendre les droits de locataires de HLM de la région d’Annemasse, ville de Savoie proche de laquelle se trouve une « colline de Sion ». Je disais « prosaïque » ? Le Plantard en question, interrogé dans le cadre d’une instruction judiciaire par le juge Jean-Pierre, avait reconnu plusieurs années auparavant que toute l’histoire du Prieuré de Sion était une affabulation, un canular créé de toutes pièces par lui-même et quelques acolytes dans le but de se faire reconnaître, lui, Plantard, comme descendant des Mérovingiens et, par eux, de Jésus-Christ et de Marie-Madeleine… Excusez du peu, passons.

Ce canular, plutôt bien conçu pour quelqu’un d’une ampleur intellectuelle apparemment assez limitée (tel que le Pierre Plantard en question), abusa suffisamment trois Anglais, dans les années 1980, pour qu’ils construisent, pour l’essentiel (mais pas seulement) sur cette base, un grand succès de librairie avec leur livre Holy Blood, Holy Grail, que j’avais à l’époque lu avec un intérêt teinté de scepticisme. C’est de ce même livre que Dan Brown s’était très largement inspiré (y compris en référençant ses auteurs dans le Da Vinci Code au travers d’anagrammes de leurs patronymes), à telle enseigne que lesdits Anglais lui firent un procès, qu’ils perdirent d’ailleurs. Il faut dire qu’ils n’avaient rien… à perdre, justement.

Mais ce qui me semble important, c’est de souligner que si, à l’extrême rigueur, le canular du Prieuré de Sion avait pu abuser nos amis d’outre-Manche dans les années 1980, un auteur de fiction conduisant des recherches sérieuses en vue d’un prochain roman au début des années 2000, ne pouvait pas, ne devait pas, lui, se laisser abuser de la même manière, dans la mesure où cela faisait déjà plusieurs années que la supercherie de Plantard avait été dévoilée au grand jour via l’instruction du juge Jean-Pierre, et soulignée une fois encore à l’occasion du récent décès de l’auteur du canular lui-même !

Comment Dan Brown, qui professe des prétentions certaines quant à la qualité de son travail, a-t-il pu écrire son plus grand succès à ce jour sur des prémisses aussi évidemment trompeuses, et comment autant de lecteurs (et de journalistes !) ont-ils pu tomber dans le panneau sans relever l’énorme supercherie qui est à l’origine même de l’histoire, et sans laquelle cette histoire n’existerait pas ?

Parfois, la crédulité humaine me laisse pantois.

J’ai dit que l’intrigue du Da Vinci Code était bien conçue et fort ingénieuse. Puisqu’elle n’appartient pas à Dan Brown, qui a tout puisé dans le livre des Anglais Lincoln, Baigent et Leigh, et puisqu’eux-mêmes s’étaient très largement inspirés du canular de Sion, ce qui m’intéresserait, c’est de savoir qui a échafaudé ce canular, car c’est lui qui, en définitive, a apporté la véritable valeur ajoutée romanesque à l’affaire (je ne crois pas un instant que Plantard ait été cette personne, il a simplement servi de « façade »), certes à partir de nombreuses légendes éparses, Joseph d’Arimathie, Marie-Madeleine, les Cathares, etc., mais en y apportant malgré tout un ciment de vraisemblance et d’unité créative qui a permis que le canular de Sion perdure pendant plusieurs décennies, et abuse des milliers de personnes en dépit des quelques ouvrages qui avaient tenté, sans succès, de le démonter.

On a toujours plus envie de croire ceux qui nous racontent une histoire merveilleuse, plutôt que ceux qui nous ramènent sur le dur et monotone pavé de la réalité quotidienne…

samedi 7 avril 2012

Vignetage ou… vignettage ?


Le vignettage, c’est ce phénomène optique qui, dans certains cas, provoque dans les angles un assombrissement de l’image. Cet assombrissement provient du fait que les lentilles circulaires de l’objectif doivent s’accommoder de formats de photos rectangulaires ou carrés, mais en tous cas présentant des angles droits pour lesquels un recouvrement suffisant n’est pas toujours prévu ni possible (c’est le fameux problème de la quadrature du cercle !). Lorsque la formule optique n’a pas été assez bien calculée, ou lorsque combattre ce défaut renchérirait trop le coût de l’objectif, ou encore lorsque le vignettage résulte d’un compromis rendu nécessaire pour traiter d’autres défauts que les ingénieurs opticiens doivent aussi combattre (manque de piqué, distorsion, aberrations chromatiques), cet assombrissement apparaît.

De nos jours, il semble que les opticiens aient davantage tendance à « laisser passer » ce défaut qui est assez facile à corriger informatiquement, au besoin par le boîtier lui-même, directement à la prise de vue. Sinon, il peut également être corrigé, ou au moins atténué, dans les logiciels de traitement d’image : par exemple dans Photoshop, menu Filter, article Lens Correction, puis onglet Custom qui donne accès aux deux curseurs Vignette.

« Vignette », disais-je… Eh oui, il s’agit là d’un emprunt fait au français, et bien sûr, ce mot nous renvoie tout de suite à l’idée de « vigne ». À juste titre, puisqu’à l’origine, une « vignette » était un petit texte, ou un motif graphique (dessin ou autre) de petite taille, tel qu’on aurait pu l’imaginer tenir sur une feuille de vigne. Les vignettes se sont répandues, notamment aux XVIIIe et XIXe siècles, comme motifs ornementaux dans les angles des pages des livres ou des gazettes, ou comme bordures décoratives, notamment sur les pages de titre ou de début ou fin de chapitre.

Les vignettes ont ensuite été utilisées aux débuts du cinéma pour fournir à certaines scènes des « encadrés » décoratifs ou des légendes explicatives (du genre « Pendant ce temps-là, au vieux château… »).

Donc, venant étymologiquement de « vignette », il était logique —et même inévitable— que le phénomène optique provoquant un certain obscurcissement des coins de l’image, ressemblant donc à une vignette, s’écrive « vignettage », puisque vignette prend deux « t ».

Or, depuis quelques années, plusieurs magazines photo ont pris la déplorable habitude d’écrire « vignetage », comme si ce mot était dérivé de « vigne » et non de « vignette » !

C’est évidemment une erreur grossière, et notons au passage que nos amis anglo-saxons, eux, écrivent toujours « vignetting » avec les deux « t » qui s’imposent. Le français, il est vrai, est de nos jours copieusement écorché par de plus en plus de gens mais ceux qui, comme moi, professent un certain respect pour leur propre langue, et particulièrement ceux qui écrivent et publient chaque mois, devraient s’attacher à ne pas populariser et, partant, à accréditer, des orthographes inexactes.

vendredi 6 avril 2012

Le lac

Les lacs, vastes étendues planes et calmes, jouent facilement les miroirs et permettent des effets de contraste intéressants, soit qu'on s'en serve pour refléter leurs abords, soit qu'on utilise leur planéité pour suggérer la vastitude, voire linfini. Un lac produit cet effet plus facilement que la surface, toujours un peu agitée, de la mer qui requiert la pose longue (pas toujours facile à mettre en pratique, j'y reviendrai) pour procurer une sensation visuelle du même ordre.

La première photo ci-dessous représente le lac d’Annecy sous une jolie lumière de matin d’hiver, et quant à la seconde, c’est tout simplement le lac de Genève dont j’ai tenté d’estomper la présence au loin en ouvrant au maximum (f/1.4) un petit téléobjectif de 85 mm.

Lac d’Annecy, matin d’hiver
Genève, un banc au bord du lac