dimanche 30 décembre 2012

Partager ? Ou… frimer ?



Parmi les mots à la mode que chacun se doit d’utiliser çà et là, figure depuis quelques années le concept de « partage ». À coup sûr une belle et noble idée s’il en est ; ou du moins, ce serait le cas si ce « partage » n’était pas, la plupart du temps, le déguisement fourre-tout qui sert à masquer, en réalité, le fait qu’on nous impose ce dont on ne veut pas : certains croient devoir « partager » leur musique (ou ce qu’ils appellent ainsi) que nous n’avons nulle envie d’entendre, d’autres « partagent » leurs impressions en nous tenant la jambe au téléphone quand nous avons bien mieux à faire ailleurs, et bien entendu, les photographes « partagent » leurs images, ce « partage » n’étant rien d’autre que le toilettage moderne de la bonne vieille séance de projection de diapos que l’oncle Anatole nous faisait subir dans les années 70 à chaque retour de Plougastel-Daoulas. C’est toujours aussi interminable, et toujours aussi ch…, mais comment protester alors qu’on est en train de vous faire aimablement « partager » ce qu’on aurait pu garder pour soi, sans vous en faire bénéficier ?

L’altruisme, toutefois, est en l’espèce quelque peu douteux. En effet, le plus souvent, il s’agit davantage de se mettre soi-même en valeur, d’essayer de se faire admirer, bref de s’attirer cette reconnaissance d’autrui que la télé-réalité a élevé au rang de must quasi-quotidien. Car ce qu’on attend de ce soi-disant « partage », ce sont bien, et avant tout, les commentaires louangeurs qui nous confirmeront que notre prochain, non seulement nous aime, mais encore nous place au-dessus de lui-même puisqu’il admire nos œuvres —ce qui sous-entend, selon nous, qu’il serait incapable d’en faire autant.

Les réseaux sociaux, bien entendu, se sont engouffrés dans la brèche et ont bâti leur succès sur ce besoin que chacun éprouve de se mettre en vedette, ou du moins en lumière, de bénéficier de son quart d’heure (voire seulement de sa minute) de gloire, en imposant au reste du monde le « partage » de ce qu’il n’a, par ailleurs, aucune envie de voir ni de lire ni d’entendre.

Ce besoin que beaucoup éprouvent d’essayer de frimer aux yeux des autres n’est certes pas nouveau, mais alors que, naguère, seul l’entourage proche en « bénéficiait », aujourd’hui Internet fournit à ces comportements une caisse de résonance bien plus ample, ce qui fait que, comme avec les bombes « sales », les retombées arrosent, hélas ! un périmètre beaucoup plus vaste.

C’est comme avec les fautes d’orthographe : même si la merveilleuse réforme de l’école post-1968 a bien accéléré les choses, il y a toujours eu un grand nombre de personnes incapables d’écrire correctement le français. Simplement, avant, elles ne prenaient pas la plume, ou du moins vous ne bénéficiiez pas de leurs perles si vous n’en aviez pas dans votre entourage, et qu’aucune n’était donc susceptible de vous écrire. Aujourd’hui, l’écrit public, à cause d’Internet, est partout. Le fait que la plupart des gens écrivent comme ils parlent est devenu patent, et le langage dit « SMS » est venu en rajouter une couche là où il n’en était vraiment point besoin. On en est à un point tel que cela paraît souvent vieux jeu d’appeler au respect de l’orthographe sur tel ou tel forum du Web : la loi du nombre joue à fond et le « partage » des barbarismes est monnaie courante.

Allez ! J’arrête là, il faut que j’aille sur Flickr partager mes dernières photos et lire mes commentaires !