samedi 24 novembre 2012

Plaidoyer pour National Geographic



Une fois n’est pas coutume, je vais me plaindre de Jean-Christophe Béchet, l’habituellement excellent rédacteur-en-chef adjoint de Réponses Photo. Lui dont je loue d’ordinaire la plume (et qui nous gratifie, dans le numéro de décembre du magazine, d’un billet plein de finesse et de bon sens), écrit dans ce même numéro, à l’occasion d’une critique d’un livre-photo du Londonien David Bailey (vous souvenez-vous de Blow-Up ?) sur Delhi, la phrase suivante : « Bien loin des clichés touristiques à la National Geographic, il a réalisé un portrait de New et Old Delhi volontairement chaotique […] ».

Ainsi donc, voici National Geographic rangé d’un trait de plume au rayon des catalogues de voyagistes… Non seulement c’est inexact, mais cela m’inquiète pour la culture photographique de Jean-Christophe qui, sur ce coup-là, s’est un peu laissé aller.

Rappelons quand même que, bien loin de produire les « clichés touristiques » que Jean-Christophe méprise visiblement, National Geographic a produit, depuis des décennies, de la photographie de très haute qualité, non seulement technique mais aussi documentaire, informative et humaine. On ne compte plus les photographes prestigieux qui ont été révélés par ce magazine, au premier rang desquels Steve McCurry, Sam Abell ou David Griffin, et c’est toujours, pour n’importe quel grand professionnel, un honneur insigne que d’être choisi par National Geographic pour réaliser un reportage.

Qualité irréprochable, inventivité, maîtrise technique dans les conditions les plus difficiles, sont quelques une des caractéristiques qui ont forgé la réputation photographique de National Geographic au cours du temps et qui ont inspiré les Geo, Grands reportages et bien d’autres.

Alors, certes, on pourra toujours dire que ce n’est pas ce que les intellos franchouillards aiment bien appeler, en se frottant la panse ou en se regardant le nombril, de la « photo d’auteur » (encore que). Si vous vous demandez ce que c’est que la photo d’auteur, eh bien c’est ce que nos amis américains appellent artsy-fartsy, c’est-à-dire « artisto-péteux », genre « mes photos sont surexposées et mal cadrées mais je n’ai pas besoin de connaître la technique, je suis au-dessus de ça, je suis un auteur. Et le flou, il est voulu, c’est de l’art ».

J’espère que l’ami Jean-Christophe ne va pas, lui aussi, se laisser glisser sur la pente savonneuse du « j’essaie de faire de l’art, et ça excuse tout », parce qu’en vérité ça n’excuse rien, et surtout pas la médiocrité technique vis-à-vis de laquelle je l’ai déjà vu montrer à quelques reprises une indulgence coupable. Reprenons-nous, cher ami : maîtriser la technique et la composition ne sont pas des comportements coupables et nécessairement anti-artistiques ! Ne pas brûler les hautes lumières ne veut pas forcément dire que nos photos ne portent aucun message au-delà de leurs qualités formelles !

Espérons que tout cela ne sera bientôt qu’un mauvais souvenir, et que tout le monde oubliera bien vite que Jean-Christophe a pu se méprendre à ce point. Je vois chaque mois dans Réponses Photo bien des images qui relèvent du cliché touristique (y compris sous la signature de JCB lui-même dans ce numéro de décembre, avec en l’occurrence pour sujet : Venise), et pourtant Réponses Photo, qu’encore une fois j’aime beaucoup, est très, très loin d’avoir la réputation de National Geographic quant à sa qualité iconographique : que l’un puisse un jour aspirer à approcher l’autre, c’est tout le mal que je lui souhaite.

samedi 17 novembre 2012

Vous reprendrez bien un peu de bokeh ?



J’ai déjà parlé, dans mon post du 17 avril dernier, de la profondeur de champ et de la méthode à utiliser pour obtenir un de ces jolis flous d’arrière-plan (ou d’avant-plan, d’ailleurs, bien que ce soit moins fréquent) ou, pour employer le mot japonais à la mode depuis quelques années, un bokeh harmonieux. Ayant reçu plusieurs demandes de lecteurs de ce blog qui ne parvenaient pas à obtenir des résultats aussi veloutés que ce qu’ils souhaitaient, j’y reviens brièvement avec des exemples.

Rappelons d’abord deux évidences : le velouté du bokeh dépend en partie de facteurs que vous ne maîtrisez pas : la taille de la surface sur laquelle se forme l’image ; et la capacité de votre objectif à produire un joli bokeh.

La taille du capteur, d’abord : plus il est grand, plus le bokeh sera intense. Il est assez facile d’obtenir du bokeh (velouté ou pas) avec un capteur 24 × 36 ; c’est plus difficile avec un capteur APS-C, qui est environ 1,5 fois plus petit, et quant aux capteurs d’appareils compacts, tout est quasiment toujours net avec eux. Impossible d’obtenir un bokeh harmonieux sans faire vraiment beaucoup d’efforts, et encore.

Nette rousse (Netta rufina) capturée à courte distance (une quinzaine de mètres) depuis un affût avec le zoom Nikkor 200-400 f/4




Ensuite, même avec un capteur full frame, certains objectifs seront mieux à même de produire l’effet recherché, parce qu’ils ont été conçus pour cela, à la fois en termes de formule optique, mais aussi au niveau de leur diaphragme, qui doit compter au moins 9 lamelles, de préférence de forme arrondie, afin de flouter plus harmonieusement les parties de l’image qui sont en arrière ou en avant du plan de mise au point.

Même légende que pour la photo du dessus (sauf qu'il s'agit d’une femelle de fuligule milouin)


Enfin, l’on a dit, vous vous en souvenez, qu’une longue focale produira plus facilement du bokeh qu’un grand-angulaire, et qu’elle le fera d’autant mieux que le sujet mis au point sera proche, et l’arrière-plan lointain. Regardez les quelques exemples ci-dessous :

Lorsque l’arrière-plan est relativement proche du sujet, le bokeh est présent, mais peu prononcé (photo faite avec un objectif 85mm f/1.4)
En revanche, quand l'arrière-plan est plus lointain, le flou est bien plus accentué (objectif 135mm f/2 DC)
Même quand le flou est prononcé et agréablement velouté, l’on devine encore en quoi consiste l'arrière-plan (objectif 85mm f/1.4)
Ici, impossible de deviner de quoi est fait l'arrière-plan (objectif 70~200mm f/2.8 VR II)
Même chose avec ce gros plan d'une autruche fait au 200~400mm f/4 VR
Même lorsque votre sujet est éloigné, vous pouvez, en travaillant à plein ouverture, espérer le détacher quelque peu de l'arrière-plan, ici la ligne d'horizon (objectif 200~400mm f/4 VR)


Les longues focales, néanmoins, ne font pas tout : si vous utilisez un de ces super-zooms que les publicités nous vantent, vous arriverez probablement à obtenir du bokeh, mais cela ne signifie pas qu’il sera doux et velouté : il pourra être granuleux, presque assimilable à du bruit numérique, et donc pas spécialement plaisant à contempler. C’est qu’on touche là à la différence qui existe entre « faire du bokeh » et « faire du beau bokeh », et comme dit plus haut, certains objectifs sont plus spécialement calculés pour faire mieux que d’autres. Comme par hasard, ce ne sont pas les plus économiques…

Dans le catalogue Nikon, les meilleurs sont le 85/1.4 et 1.8, le 105/2.8 Macro, les 105 et 135/2 DC (les seuls objectifs spécifiquement conçus pour modeler et travailler le flou d’arrière ou d’avant-plan), et dans les zooms, le 70-200/2.8 VR, et mieux encore la nouvelle version VR II. Bien entendu, les longues focales fixes (200/2, 300/2.8, 400/2.8, et même le zoom 200-400/4) sont aussi d’excellentes « machines à bokeh ». J’imagine que l’équivalent est également vrai pour le catalogue Canon. Les objectifs 50mm à pleine ouverture pourront aussi vous donner parfois un joli bokeh, de même que certains grand-angulaires spécialement conçus pour cela (chez Nikon, l'objectif à bascule et décentrement PC-E 24mm f/3.5  ou le 24mm f/1.4).

Objectif 200~400mm f/4 VR à pleine ouverture
Gros plan de héron cendré depuis un affût (objectif 200~400mm f/4 VR)
Remettez-vous-y, et bon bokeh !