vendredi 3 août 2012

On n’invente rien

Un dernier petit article avant de partir en vacances (avec le sac photo, cela va sans dire)...


L’avènement du numérique a facilité les choses dans bien des domaines pour le photographe : on peut regarder immédiatement les photos qu’on vient de prendre et, pour les plus expérimentés qui ne se fient pas à ce que leur montre leur écran arrière, on peut consulter l’histogramme ; on peut, sans coût supplémentaire, refaire sur-le-champ les prises de vues qui n’ont pas donné les résultats espérés… pour autant, bien sûr, que le sujet soit encore là, et la lumière aussi ; et on ne dépend de personne pour maîtriser l’intégralité de la chaîne de production, de la prise de vue à l’impression des tirages, en passant par la phase essentielle dite du « labo numérique ».

Pour autant, il serait fallacieux de croire que le numérique a réinventé la photo. Je vous en donne ci-dessous quelques exemples, qui sont comme autant de clins d’œil de et à nos grands anciens…

Premier exemple : la pose longue, cette mode qui fait fureur ces temps-ci dès lors qu’il s’agit d’inclure dans le cadre de l’eau en mouvement (et j’admets que cela produit des effets fort esthétiques, même si l’on commence à s’en lasser un peu). Eh bien, Carleton Watkins la pratiquait déjà dans les années 1869 :

Carleton Watkins, Pain de sucre, archipel des Farallon, vers 1869

Bon, d’accord, compte tenu de la très faible sensibilité des plaques qu’il utilisait dans sa chambre 45 × 55 (centimètres, hein, pas millimètres !), il n’avait guère le choix. Toujours est-il que la prise en compte du pouvoir esthétique de la pose longue ne date pas d’aujourd’hui, ni même d’hier.

La photographie en très basse lumière sans flash a été, tout le monde le sait, révolutionnée en 2008 par le Nikon D3 et les boîtiers qui ont suivi. Euh… pas totalement ! Regardez cette scène, foisonnante de détails, parfaitement exposée bien qu’elle ne soit éclairée que par la lueur du feu de camp… Nous sommes au Far-West, le vrai, en 1866, et ce petit chef-d’œuvre est de William Notman, qui pourtant n’a disposé d’aucun posemètre pour calculer son exposition, ni d’aucun écran LCD pour vérifier son histogramme…

William Notman, Le feu de camp, vers 1866


Et quand on sait que ce même Notman avait reçu, quelques années plus tôt, la distinction de Photographe de l’année décernée par la reine Victoria, on comprend aussi que les BBC Photographers of the Year n’ont rien inventé non plus !

Tiens, puisque nous parlons de la BBC, restons dans le domaine de la photo d’actualité. C’est à juste titre que nos photojournalistes modernes sont glorifiés, et à juste titre encore que l’on loue les progrès réalisés par les fabricants qui, à partir du Leica puis du Nikon F, ont conçu, grâce au format 24 × 36 (millimètres, cette fois), des appareils petits, maniables, solides, permettant d’immortaliser des scènes d’action qu’il aurait été totalement impossible de photographier avec les massives chambres de jadis, nanties de leurs lourd trépieds.

Vrai ? Pas vraiment. Enfin, oui, dans une large mesure, mais saluons d’autant plus bas la prouesse de certains photographes de l’époque héroïque qui, en dépit d’un matériel incommode et de films peu sensibles, ont gardé le souvenir d’instants aussi fugaces et dramatique que le naufrage d’un navire, comme cette magnifique réalisation de Francis Mortimer en 1911 :

Francis Mortimer, Le naufrage de l'Arden Craig, 1911

Encore plus fort, allons maintenant sur un terrain typiquement défriché par le numérique : le bracketing, cette technique consistant à photographier plusieurs fois la même scène, dans une rafale rapide, en posant une fois pour les plus hautes lumières, une fois pour les plus basses, et plusieurs fois entre les deux. Ensuite, on recombine ces différentes photos sous Photoshop pour obtenir une image à la dynamique artificiellement étendue, allant bien au-delà de ce que le capteur pouvait reproduire. Dans le pire des cas, cela donne le HDR, lui aussi très à la mode, et en général de très mauvais goût.

Nous sommes donc bien là dans un domaine vraiment nouveau, que seule l’arrivée du numérique a permis, pas vrai ? Ben non : dès 1856, Gustave Le Gray avait compris comment prendre deux images successives, puis les combiner en un tirage unique afin d’étendre la dynamique reproduite :

Gustave Le Gray, Ciel et mer, 1856
Tout cela relativise un peu l’omniprésence de la sacro-sainte technique, et les sempiternels débats du genre « Dois-je changer mon boîtier maintenant ou attendre la prochaine nouveauté ? »

Allez, bonnes vacances et bonnes photos à toutes et à tous !


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