dimanche 1 juin 2014

Retouche photo et hypocrisie

L'autre jour, sur un forum traitant de photo de voyage, quelqu'un recommanda le livre Conseils d'un photographe voyageur, d'Olivier Föllmi. Je n'avais pas lu ce livre mais, me souvenant de quelques photos de Föllmi que j'avais aimées, et sachant que le bonhomme est quand même l'un des rares qui parvient à vivre de ses photos de voyage, je fis l'emplette de son petit opus.

Föllmi est, à l'évidence, un mystique profond dont l'approche humaniste se confond avec une appréhension quasi-religieuse, en tous cas fusionnelle, de ses sujets. Cette approche ne me correspond pas et je lus en diagonale bon nombre de pages qui s'assimilaient davantage à du prêchi-prêcha qu'à de véritables conseils opérationnels et exploitables pour photographes voyageurs... sauf à être un grand mystique comme lui, évidemment.

Pour autant, son petit livre contenait un certain nombre de points intéressants, même s'ils n'étaient pas entièrement nouveaux par rapport à ce que tout un chacun peut lire en faisant quelques recherches sur internet ou en lisant d'autres livres de grands voyageurs tels que, par exemple, Steve McCurry. J'étais juste un peu irrité par la pub faite sur chaque page pour Fuji, sous prétexte que cette marque sponsorise l'auteur: là, pour le coup, on bascule du mysticisme le plus éthéré dans le matérialisme le plus mercantile!

Bref... Je suis arrivé page 88, où figure le chapitre "Retoucher ses images", et là je lis la première phrase ainsi: Pour un bon photographe, une image à retoucher devrait aller à la poubelle. Aïe.

Déjà, ce genre de pronunciamento imbécile, digne des jugements à l'emporte-pièce qu'on assène au comptoir du Café du Commerce parce qu'on a bu un coup de trop, qu'on n'a plus toute sa lucidité et qu'on est incapable de faire encore dans la nuance, est difficilement admissible de la part d'un grand professionnel, qui écrit en principe à jeun, et qui devrait savoir que les situations réelles sont infiniment plus complexes, et que si ce qu'il affirme était vrai, il n'y aurait pas beaucoup de "bons photographes" sur Terre (y compris tous ceux qui sont infiniment plus et mieux reconnus que Föllmi).

Ensuite, les affirmations de ce type émanent le plus souvent de ceux qui ne maîtrisent pas les outils de retouche et qui, plutôt que de l'avouer, préfèrent prétendre qu'ils sont haïssables (travers bien connu de la race humaine) —alors qu'en vérité, ils aimeraient apprendre à les utiliser...

Enfin, cet intégrisme professé, cette intolérance absolue, est à l'image de ceux et de celles dont la politique, les mœurs ou la religion nous offrent le spectacle, c'est-à-dire qu'elles ne s'appliquent pas à soi-même, évidemment. En effet, que lit-on sous la plume de notre brave Genevois, juste après? Lors de la phase de gravure [que nous autres pauvres gueux pourrons assimiler à l'impression de nos photos], il arrive de devoir contraster un ciel, densifier une couleur ou ouvrir une ombre.

Ah bon? Et cela, ça ne serait pas, par hasard, comme qui dirait, de "la retouche", cette retouche honnie que tout "bon photographe" doit bannir? Mais non, voyons, pas de mauvais esprit! Poursuivons la lecture de la parole du Maître: J'accepte des ajustements chromatiques modérés [c'est quoi, des "ajustements chromatiques"? et c'est quoi, "modérés"?] s'ils restent dans les limites du respect de la photographie. Et qui va en être juge, de ce respect? Monsieur Föllmi, bien sûr. Lui sait jusqu'où il peut se permettre de triturer ses images. Quant aux autres, dès qu'ils tritureront, ils n'auront qu'à s'intituler, selon lui, "artistes infographistes".

En résumé, Föllmi, c'est: "Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais. Si vous éprouvez le besoin de retoucher vos photos, c'est que vous n'êtes pas un bon photographe. Oui, c'est vrai, moi aussi je retouche les miennes, mais moi je sais jusqu'où ne pas aller trop loin, et je sais rester un 'artiste photographe' sans tomber dans la sous-catégorie des 'artistes infographistes'. Vous, non."

Franchement, il y a de quoi se tordre de rire. Notre pauvre Suisse, qui avait dû abuser de la fondue et du fendant quand il a pondu son chef-d’œuvre, a perdu à mes yeux toute crédibilité. Quand on pense que c'est lui qui, par ailleurs, se fait l'apôtre de la tolérance, du respect des autres, de l'écoute, et qu'on le sait capable de proférer ce genre de discours d'exclusion, de dire, du haut de son savoir auto-proclamé, qui est un "bon photographe" et qui ne l'est pas, eh bien on peut se demander à quel moment du livre le mensonge a commencé...

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