samedi 18 février 2012

Les vanités du Chasseur (d’Images)


 Bienvenue à toutes et à tous !

Je suis, en un sens, un peu navré d’ouvrir ce blog par un billet d’humeur, mais après tout, puisque l’actualité commande, ainsi soit-il !

Je fais partie d’une génération qui a commencé la photo à l’ombre des géants de la presse-magazine qu’étaient, à l’époque (j’étais très jeune) Photo ou Zoom. Internet n’existait pas, l’ordinateur personnel non plus, et les magazines photo étaient le seul moyen qu’on avait d’accéder à quelques rares échos de ce qui se passait dans le monde de notre passion. Et encore, ces magazines étaient chers pour nos poches de lycéens, et on ne les trouvait pas par dizaines au rayon Presse (qui n’existait pas) des hypermarchés (qui existaient à peine) où on peut les lire pendant des heures sans vergogne ; seuls le petit marchand de journaux du coin de la rue les vendait, et je vous prie de croire qu’il avait l’œil —dans tous les sens du terme— et qu’il n’était pas question de prendre sa boutique pour un salon de lecture ! Quand on pense qu’aujourd’hui, à Auchan ou Carrefour, ils installent des fauteuils-club au rayon Livres…! Il faut dire aussi que plus personne ne lit, à part les B.D., mais ça, c’est une autre histoire.

Bref, ces magazines sur papier glacé, souvent inaccessibles (ici aussi, dans tous les sens du terme), dominaient le marché d’un air hautain, professaient en chaire, et d’une manière générale s’efforçaient d’en faire des tonnes pour impressionner le lecteur (et ça marchait, en tous cas quand le lecteur était jeune). Ils se voulaient des maîtres à penser artistiques (ce qui était discutable, dépendant des goûts de chacun), mais leur contenu technique était plutôt maigre, et souvent fort subjectif.

Et soudain, surgit au milieu de ces maîtres vénérables et empesés un nouveau venu, frais, pas bégueule, convivial dirait-on aujourd’hui, fait quelque part à la cambrousse, chez les peigne-culs, ne se prenant pas au sérieux et dérangeant les institutions en place aussi bien par son ton (qui tranchait avec la morgue hautaine déployée jusqu’alors) que par son contenu, très pratique, à l’américaine, explicatif et démystificateur. Ce nouveau venu s’appelait Chasseur d’Images. Son arrivée apportait dans le salon un peu poussiéreux de la presse photo le proverbial courant d’air rafraîchissant, le rajeunissement qu’à l’évidence les lecteurs attendaient, puisqu’il connut assez rapidement le succès et bouscula joyeusement les institutions en question.

Puis, ma pratique de la photo connut un hiatus d’une vingtaine d’années et j’arrêtai par la même occasion de m’intéresser aux magazines qui en parlaient.

Je replongeai dans la marmite au milieu des années 2000 et, peu confiant dans Internet car je sais trop bien que n’importe qui peut, sous des apparences de sérieux et de professionnalisme, y mettre en ligne des contenus parfaitement fantaisistes, je me tournai tout naturellement vers la presse-magazine pour me mettre à jour des bouleversements que le secteur avait connus, pour ainsi dire « en mon absence ». Chasseur d’Images fut, bien sûr, un des premiers magazines que je me mis à racheter chaque mois, comme on aurait retrouvé un ami de confiance après des années de séparation… et je m’en voulais presque de lui faire des infidélités avec un concurrent, Réponses-Photo, qui n’existait pas « avant » mais en qui je voyais un média sérieux, clair, bien informé, bien documenté, et rempli d’une valeur ajoutée qui, je me l’avouais presque avec une pointe de rancœur, dépassait souvent celle de mon ami-magazine de longue date.

Et puis, je retrouvais avec un énorme plaisir dans Réponses-Photo le ton simple, direct, pas ampoulé qui, dans mon souvenir, avait été celui de Chasseur d’Images et avait fait son succès, jadis.

Je dis « jadis » car, hélas ! je devais bien avouer, in petto, que le Chasseur d’Images que je continuais à acheter fidèlement chaque mois, avait bien changé. Certes, son contenu restait de qualité, complet, fouillé, informatif, bien mis en page, mais… mais son ton rédactionnel, lui, avait terriblement évolué, et pas dans le bon sens : Chasseur d’Images se prenait au sérieux, pontifiait, prêchait en chaire, bref s’était paré de tous les défauts qui caractérisaient ses concurrents, à l’époque de sa naissance, défauts dont il avait justement pris le contrepied, ce qui lui avait valu le succès… et voilà qu’il tombait exactement dans les mêmes travers, la même suffisance, la même vanité. Pour le lecteur que je suis, la déception était amère.

Le symbole-même de cette évolution désastreuse fut la photo du rédacteur en chef, publiée chaque mois en regard de l’éditorial, et le montrant exhibant fièrement au bras, orientée de telle sorte qu’on en devine bien la marque de prestige, une coûteuse tocante que, pour n’être pas une Rolex, certain Président de la République n’aurait sans doute pas reniée. Il ne lui manquait que les Rayban, mais il faut dire qu’elles auraient masqué son regard séducteur. Cette photo parfaitement ridicule, et pourtant choisie sans nul doute avec beaucoup de soin, symbolisait et dénotait l’esprit que Chasseur d’Images entendait désormais donner : « on a gagné, on est arrivé, on est les meilleurs, on est riche. »

Peu à peu, trouvant chaque mois dans Réponses-Photo (complété par quelques sites Web judicieusement triés) tout ce que je voulais, je me mis à acheter Chasseur d’Images moins régulièrement… puis plus du tout.

Or, je viens de nouveau de l'acheter dans l’intention de lire avec avidité l’article parlant du nouveau boîtier professionnel de Nikon, le D4, que j’entends acquérir aussitôt que les premiers plâtres (s’il y en a) auront été essuyés. Si je n’ai pas été déçu par l’article lui-même, je n’ai pu, en revanche, réprimer une réaction d’agacement (« Mais pour qui se prennent-ils ? », me suis-je exclamé) en lisant sous la double plume du rédacteur en chef, M. Cogné, et de l’un de ses proches collaborateurs (et par ailleurs excellent journaliste et technicien), M. Loaec, à quel point ils étaient tous deux « écœurés » (sic) par le mépris de la Presse (pourquoi un P majuscule ?) dont Nikon avait fait preuve en refusant de leur divulguer à eux, petit magazine français, des informations concernant le D4 avant la conférence de presse mondiale (excusez du peu) présentant ce nouveau boîtier.

Pas de chance, il semble que la date de cette conférence tombait le jour-même de la publication (ou du bouclage, je ne sais plus) de Chasseur d’Images. C'est sûrement ennuyeux, mais pourquoi diable la société Nikon (qui, on s'en doute, ne l'avait pas fait exprès) aurait-elle dû faire une exception ? Et si elle l’avait faite, n’aurait-elle pas dû en faire une aussi pour tel ou tel magazine allemand, américain (pour ne rien dire des Japonais !) qui, eux, bouclaient ou sortaient l’avant-veille, ou juste trois jours plus tôt, voire une semaine, voire deux…? On s’arrête où, là ?

À l’évidence, la prétention de Chasseur d’Images dans cette affaire, et la vindicte un peu puérile qu’ils ont déployée à cette occasion contre Nikon, montrent à quel point ils se prennent pour des divas du monde de la photo, et à quel point ils ont perdu le sens des réalités, pour ne rien dire de celui du ridicule. Je le regrette profondément, car encore une fois, Chasseur d’Images, l’original, le vrai, l’authentique, fut une icône de ma jeunesse de photographe… mais ce Chasseur d’Images-là n’est plus. Je n’achèterai plus ce magazine dans lequel je ne me reconnais plus, ni pour la sortie du D800, ni pour celle du D5 dans quelques années… à supposer qu’il soit encore sur les rayonnages.

Dominique R.

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